Endométriose et sport : amis ou ennemis ? Une vraie ou une fausse bonne idée ? Mais comment s’y mettre et l’adapter aux douleurs ? Si vous êtes là, c’est que l’endométriose vous questionne ou vous touche de près ou de loin. De si loin ?
1 femme sur 10 souffre d’endométriose. Parfois sans même le savoir… Alors cela vaut le coup de prendre le sujet à bras le corps pour mieux comprendre cette maladie et découvrir comment l’activité physique peut être un soutien pour soi ou pour un·e proche !
Vous avez sûrement plus entendu parler d’endométriose ces deux dernières années que toutes celles du début de votre vie. Pourtant, c'est la même maladie gynécologique connue depuis l’Antiquité… mais elle n’est au programme des études de médecine que depuis 2020 !
Taboue pendant longtemps, l’endométriose est aujourd’hui une maladie reconnue comme un enjeu de santé publique et de société. D’ailleurs, en 2022, le président Emmanuel Macron a annoncé le lancement d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose.
Bonne nouvelle que cette maladie soit mieux prise au sérieux et en charge, car les médecins y voient plus clair et les sportif·ve·s (en devenir) aussi grâce à des personnes comme :
● Docteur Benjamin Cotte, chirurgien gynécologue, spécialiste de l’endométriose et coordinateur du programme Endomaîtrise à Lyon.
● Yasmine Candau, présidente de l’association EndoFrance, première association de lutte contre l’endométriose créée il y a 21 ans.
● Colin Charrier, enseignant en Activité Physique Adaptée (APA) et intervenant du programme multidisciplinaire Endomaîtrise de Lyon.
● Sonia, 35 ans, mariée, mère de 3 enfants et sportive convaincue des bienfaits de l’activité physique (AP) pour l’aider à vivre avec l’endométriose qui lui a été diagnostiquée il y a 12 ans.
L’endométriose est une maladie chronique. Elle est complexe car on n’en connaît pas encore la cause exacte. On sait qu’elle affecte des personnes en âge de procréer et l’endomètre, la muqueuse qui tapisse l’utérus.
Cette fameuse muqueuse, c’est la même qui se désagrège pendant les règles s’il n’y a pas eu de fécondation. Les douleurs de règles « classiques » sont liées aux contractions de l’utérus qui se débarrasse de la muqueuse au moment de cette phase du cycle menstruel.
Mais attention ! « Toutes les douleurs de règles ne sont pas liées à l’endométriose ! » rappelle Yasmine Candau. Quand une personne a de l’endométriose, « les douleurs menstruelles classiques résistent aux antalgiques dans 70% des cas ». Seul un diagnostic médical (examen clinique, échographie, voire IRM et analyse du tissu endométrial prélevé pendant une chirurgie) peut confirmer réellement s’il y a de l’endométriose.
Car le propre de l’endométriose est de s’exfiltrer en dehors de l’utérus. Une muqueuse semblable à celle de l’utérus prend ses quartiers sur les ovaires par exemple, l’intérieur du ventre, le bas ventre, la vessie ou sur d’autres organes et crée des microhémorragies qui vont engendrer kystes, lésions, inflammation et adhérences. « Ces lésions vont saigner et cicatriser, puis générer d’autres douleurs jusqu’autour des muscles et du bassin pour devenir hypersensibles.» explique le docteur Benjamin Cotte.
Les symptômes de l’endométriose diffèrent d’une personne à l’autre ! 1 personne = 1 endométriose.
Mais on reconnait des symptômes classiques (qui se diffèrent des syndromes pré-menstruels (SPM) comme : « des douleurs pelviennes, diaphragmatiques, viscérales, sensations de raideurs, un bassin moins mobile, des raideurs et tensions derrière les jambes et une fatigue importante. » énumère Colin Charrier, enseignant APA.
« Si ces douleurs sont présentes chaque mois, de manière chronique ou cyclique et surtout qu’elles s’amplifient, alors il est bon de se questionner et d’aller consulter un médecin ! » ajoute Yasmine.
À ces premiers symptômes peuvent être aussi associés des : «troubles digestifs ou urinaires, douleurs pendant les rapports sexuels ou problème d’infertilité (environ 40 % des femmes atteintes ont des problèmes de fertilité et on estime qu’environ 50 % des femmes infertiles seraient porteuses d’endométriose.)» explique Yasmine. C’est toute la qualité de vie qui est détériorée. Mais comme il y a autant d’endométriose qu’il y a de personnes atteintes (10% des femmes en âge de procréer selon l’INSERM), ces symptômes ne sont pas toujours présents et la bonne nouvelle, c’est qu’« 1/3 des cas des endométrioses se stabilisent très vite et ne présentent pas de symptômes particuliers. On parle de maladie quand les symptômes sont invalidants. » rappelle Yasmine Candau.
Le défi principal dans l’endométriose est « de ne pas se laisser bouffer par ce quotidien de douleurs et de crises. » explique Colin. « Certaines personnes sont en arrêt maladie ou dans l'incapacité de travailler à 30 ans. D’autres rentrent à 18h de l’école ou du travail pour dormir directement, ce qui conduit à une désocialisation.»
À ce sujet, je vous conseille le roman graphique L’endométriose de Clara de Yasmine Candau et illustré par MaY Fait Des Gribouillis, pour comprendre le quotidien des personnes atteintes d’endométriose.
Le Docteur Benjamin Cotte, chirurgien-gynécologue, repère trois enjeux principaux :
1. Accepter cette maladie qui arrive souvent dans une tranche de vie où la personne se lance dans des projets qui sont parfois arrêtés ou freinés par la maladie.
2. Trouver un traitement adéquat (hormonal au départ, puis chirurgical au besoin)
3. Vivre avec la maladie et retrouver la qualité de vie la plus satisfaisante. C’est sur ce dernier point que l’activité physique s’inscrit comme un levier de mieux-être et mieux-vivre, voire un traitement complémentaire face à l’endométriose !
« Cette maladie a peut-être été perçue comme une maladie « organique » à traiter, comme un cancer à enlever. » explique le docteur Cotte. « En tant que chirurgien, j’ai réalisé que les traitements hormonaux et les opérations ne suffisaient pas toujours. Il faut regarder cette maladie comme une maladie chronique, au même titre que le diabète ou la sclérose en plaque, et éduquer les patientes à se connaître pour les aider à vivre avec cette maladie. Je me suis donc demandé comment les aider à maîtriser elles-mêmes leur maladie. » C’est comme cela que le docteur Cotte a lancé le programme Endomaîtrise à Lyon avec l’aide de l’association EndoFrance.
Pour apprendre l’autonomie face à l’endométriose et à « gérer la maladie et ses douleurs au quotidien, les circonstances qui génèrent des crises, le couple, le travail etc. »
Comment s’en inspirer ?
Comme un petit couteau suisse, l’idée est de développer suffisamment de ressources internes pour gérer la maladie. « Car deux patientes qui ont la maladie la gèrent différemment ! » Pour cela, il faut développer une vision panoramique de notre santé avec une prise en charge globale, basée sur 3 piliers :
1. le physique : sessions de sport ou d’Activités Physiques Adaptées, suivis ostéopathiques, chiropraxique* ou sexologique par exemple
2. le psychique : « car il y a des conséquences psychiques liées à l’endométriose » avec des ateliers d’art-thérapie, de sophrologie* ou de gestion du stress.
3. le chimique : la prise de médicaments/hormones peut être accompagnée de suivis naturopathique* et diététique pour une alimentation équilibrée et pour éviter d’augmenter l’inflammation de l’endométriose. Il est important d’être accompagné, car tous les conseils ne sont pas adaptés au terrain de chacun·e ! « Le sport et la diététique sont deux domaines où l’on voit de tout et n’importe quoi sur internet, alors ça vaut peut-être le coup de s’offrir 6 mois de conseils personnalisés pour gérer en autonomie le reste de votre vie ! » rappelle Colin.
Ces différentes sphères de soin permettent d’être mieux équipé pour faire face à la maladie et aux douleurs, pour mieux les gérer et développer des forces internes (résilience, persévérance, gestion du stress), prendre du recul pour retrouver confiance et harmonie avec ce corps qui donne parfois le tempo…
*On ne connaît pas scientifiquement l'efficacité de la chiropraxie, de la sophrologie ou de la naturopathie dans ce cadre. En savoir plus sur les soins non conventionnels
La réponse est unanime : oui !
« Oui, on peut faire du sport et on doit faire du sport quand on a de l’endométriose ! » insiste Dr Benjamin Cotte.
« Tant que le sport ne crée pas de douleur. » ajoute Colin. Le mouvement est l’une des premières choses à mettre en place. Car l’endométriose « est une maladie qui empêche le mouvement et moins on bouge, plus on lui laisse la place de se développer… »
Yasmine à qui l’endométriose a été diagnostiquée il y a 23 ans raconte : « Parfois j’ai tellement mal que je ne vois pas comment je pourrais faire du sport. J’ai commencé par des choses très douces comme la marche qui me fait du bien (40-45min). Je me vide la tête et sécrète des endorphines ! »
Les endorphines, voilà nos copines ! Libérées pendant une AP, elles vont réduire le message de la douleur.
Pour Sonia, 35 ans : « le sport fait vraiment partie intégrante de ma vie ! Pour moi il est devenu un traitement à part entière ! »
Les douleurs liées à l’endométriose sont parfois violentes et occupent tellement l’esprit qu’elles peuvent couper la personne de tout le reste. « Une douleur quotidienne use le mental, génère une fatigue physique et morale. » rappelle Yasmine.
Se mettre en mouvement détourne l’attention portée à la douleur. L’activité physique est aussi bénéfique face au stress qui « crispe et donc amplifie le phénomène douloureux. » ajoute Yasmine.
L’objectif du sport est de se réapproprier voire de se réconcilier avec ce corps parfois transi de douleurs à cause de l’endométriose, et de redécouvrir sa force pour être en harmonie avec lui, même dans la maladie. Et les bienfaits sont trop nombreux pour s’en priver…:
- réduire la fatigue en améliorant le sommeil
- procurer un antalgique naturel grâce à la libération d’endorphines
- réduire des douleurs quand les mouvements sont bien adaptés
- mieux maîtriser son corps pour prévenir et gérer les douleurs
- mieux vivre les effets secondaires des traitements hormonaux
- se détendre et se relaxer pour penser à autre chose qu’à la douleur
- favoriser une meilleure image corporelle
- augmenter l’estime de soi
- lutter contre l’effet de dépression engendré par l’érosion de la qualité de vie
« Même quand ça ne va pas, même quand j’ai mal, c’est difficile sur les premiers mètres mais après il se passe quelque chose dans le corps et on se sent mieux. » raconte Yasmine.
Le corps est parfois perçu comme un étranger qui a « trahi » en provoquant des douleurs inattendues et qui a besoin d’être réapprivoisé. Le docteur Cotte conseille : « d’apprendre à faire de l’AP, pas forcément du sport ! Quelque chose de doux qui ne va pas générer de douleurs, mais plutôt un bien-être, une relaxation pour bénéficier de l’effet antalgique de l’AP.»
L’APA (activité physique adaptée) aide à se remettre progressivement en mouvement. Encadré·e par un professeur comme Colin, la prise de risque est minimisée et la progression assurée. Ce d’autant plus que « parfois, en plus de l’endométriose, on peut avoir d’autres antécédents comme une scoliose, des problèmes de dos ou de bassin qui peuvent accentuer les douleurs et entraîner un raidissement du corps autour de l’endométriose », rappelle le docteur Cotte.
« La difficulté d’une maladie chronique c’est qu’il y a des jours où ça va et d’autres moins bien » rappelle Yasmine.
Alors les jours où la forme n’est pas optimale pour bouger, des séances d’ostéopathie ou de kinésithérapie peuvent être un vrai soutien pour continuer de favoriser le mouvement du corps.
« Tout sport tant qu’il ne crée pas de douleur ! » déclare Colin.
Qu’on se le dise : « Oubliez tout de suite les abdos compressifs du type crunch ! Le coach qui dit que c’est normal d’avoir des douleurs ne dit pas vrai. Les douleurs musculaires liées à l’effort sont normales, mais si les douleurs sont liées à l’endométriose, alors non ! »
Dans un premier temps, « il faut donc accepter de faire des activités plus douces qui ne provoquent pas de choc viscéral et qui permettent de regagner en souplesse » rappelle Colin. Le Pilates, la gym douce, la marche (simple ou nordique) sont des AP adéquates pour une mise au sport ou une reprise.
Mais attention aux clichés ! « cela ne sert à rien de persévérer dans le yoga sous prétexte que cela fait du bien si la personne n’aime pas le yoga, car elle va arrêter. » rappelle Colin. Conclusion : choisissez un sport qui vous fait du bien mais en douceur pour commencer.
« La meilleure solution est de tester et de voir ce qui nous convient, car chaque personne est unique ! » explique Yasmine. Pour elle, marcher quelques kilomètres chaque jour lui convient pour gérer ses douleurs.
Sonia, elle, a mis 4 ans à trouver ce qui lui convient ! (voir témoignage ci-dessous)
Dans un premier temps, le choix du roi pour se mettre au sport serait de faire appel à un enseignant APA comme Colin.
Car les exercices sont adaptés à chaque situation pour ne pas amplifier les douleurs.
Si la fatigue domine par exemple, Colin fait travailler l’endurance avec de la marche nordique. S’il s’agit de douleurs : la gym douce ou le Pilates vont permettre de redonner de la mobilité aux viscères.
Quelques recommandations de Colin :
- le renforcement musculaire : avec du Pilates (via des vidéos Youtube par exemple)
- le cardio : comme de la marche au pas de course (rapide, nordique ou dans un parc) - le stretching : pour travailler la mobilité
- les sports collectifs : c’est super pour l’estime de soi, mais courir et sauter peuvent créer des douleurs. À éviter donc au démarrage si beaucoup de douleurs. Pareil pour la zumba, le step, la corde à sauter ou la boxe qui font bouger les viscères par les sauts, ainsi les points d’endométriose sont écrasés et relâchés à chaque rebondissement.
À garder en tête : « si une activité physique te fait mal, c’est que c’est de trop et il ne faut pas forcer ! »
D’où l’intérêt de se laisser accompagner les premiers temps.
« J’ai eu besoin de trouver une activité pour passer l’endométriose au second plan de ma vie ! » Depuis ses premières règles, les douleurs de l’endométriose sont si vives que Sonia a vécu des périodes de crises : absentéisme scolaire, isolement social, évanouissement et jusqu’à 13 hospitalisations en 13 mois. « Je voulais une activité qui me fasse oublier la douleur ! ». Après 4 ans de recherche du sport adéquat, en 2019, elle jette son dévolu sur le Crossfit. « Je n’ai pas le temps de penser à la maladie, ni d’avoir mal et les sensations que me procurent le Crossfit sont plus fortes que l’endométriose pour moi ! C’est vrai qu’il vaut mieux commencer par du sport doux quand on en a jamais fait, mais j’avais de mon côté fait de l’athlétisme en national et de la gym en régional.» 2 à 3 fois par semaine Sonia s’entraine pour que « les sensations physiques liées au sport prennent le pas sur les douleurs et durent dans le temps.».
Notre interview de Colin Charrier, enseignant en activité physique adaptée (APA) et intervenant du programme multidisciplinaire Endomaîtrise de Lyon.
Progression et patience sont donc les mots à retenir pour cette remise au sport quand on a de l’endométriose.
« Si vous n’avez pas fait de sport depuis 10 ans, commencez 1 fois par semaine » conseille Colin. « Nos gênes sont faits pour des changements qui arrivent lentement. Notre société veut des effets en 3 semaines. Il faut donc garder la tête motivée pour apprécier les efforts sur le long terme ! » car l’activité physique peut être un réel soutien et traitement face à l’endométriose et apprendre ainsi à connaitre son corps et son endométriose !
Remerciements
Merci à Yasmine Candau, (www.endofrance.org), Dr Benjamin Cotte (www.endomaitrise.fr), Colin Charrier et Sonia pour leur disponibilité, partage d’expérience et expertise. Merci également à Thibault Dufoix, ostéopathe pour sa relecture complémentaire et appliquée.