Multiple championne de France du 1500 m et du 1500 m en salle, Frédérique Quentin revient sur sa carrière sportive et sa reconversion.
Journaliste et sportive, quand je découvre le parcours de certain·es athlètes, ça me fait rêver ! Par son palmarès, ses records et son engagement associatif, Frédérique Quentin, 53 ans et ex-sportive de haut niveau au 1500 mètres, fait définitivement partie de cette catégorie. Alors pour que vous rêviez aussi un peu, découvrez notre échange !
L’image s’affiche, le son est bon… Top départ pour l’interview à distance de Frédérique Quentin, multiple championne de France au 1500 m et 1500 m en salle ! Franchement, le simple fait de me dire qu’en face de moi se trouve une femme qui, plusieurs fois, a été désignée meilleure athlète du pays dans sa discipline, et ce de manière officielle, ça m’en bouche un coin (j’avais pas mieux comme expression, déso). Équilibre vie sportive/vie personnelle, passage du monde sportif à celui de l’entreprise et engagement associatif, Frédérique Quentin, 53 ans, possède à son actif une carrière aussi riche que variée !
Il y a une vie après les médailles et, promis, elle est palpitante.
Originaire du Pas-de-Calais (62), Frédérique Quentin se tourne vers l’endurance à sept ans, inspirée par son grand frère et le peu d’activités proposées dans son village natal. Du niveau régional, elle se hisse au national, puis à l’international à force d’entraînements assidus.
Pour la liberté que procure ce sport, la liberté de courir et toutes les sensations qui l’accompagnent. Quand on court, on est libre, tout particulièrement en pleine nature. Petite, j’habitais à la campagne, et mes sorties se faisaient dans des champs à perte de vue.
Pour la compétition et le dépassement de soi, aussi. Je suis assez compétitrice dans l'âme, y compris envers moi-même : j’ai donc toujours repoussé mes limites et mes peurs. J'ai plein de copains et de copines qui me disent que « courir, c'est chiant et rébarbatif », mais pour moi, c'est une véritable bulle d'oxygène. Aujourd’hui encore, ça me permet de réfléchir, d'organiser mon agenda et mes pensées.
J'ai vécu le sport comme un ascenseur social, un moyen de sortir de ma campagne. J'avais d'autres envies, d’autres ambitions. Je voulais notamment faire mes études à Lille, voyager. À 15 ans, je faisais déjà des championnats de France, je côtoyais d’autres sportifs avec les mêmes ambitions, les mêmes envies. Voilà ce qui m’a motivée.
À l’époque, je n’ai donc pas vu le sport comme une contrainte ou une entrave à ma vie personnelle. De mon adolescence à mes premières années d’adulte, j’en ai fait un métier, j'étais sportive professionnelle, même si ce statut n’existait pas à l’époque.
Aujourd’hui, je travaille dans l'univers du sport. J'ai une activité associative dans ce domaine : je suis à la tête de l'association Odysséa qui utilise le sport comme vecteur de santé et de solidarité. Le sport fait partie de ma vie, je le retrouve dans tout ce que j’entreprends. C’est ancré en moi, dans mon ADN.
C'est compliqué. J'étais jeune et boursière, et quand on est boursier, on n'a pas le droit de redoubler. J’ai eu la possibilité d’étaler mes études et de faire deux années sur trois ans, mais le système académique ne comprenait pas cette exception et il fallait que je me batte à chaque fois pour pouvoir maintenir ma bourse.
Durant mes premières années, j’ai dû trouver un job étudiant. J’écrivais alors des articles pour La Voix des Sports, le pendant sportif de La Voix du Nord. J’enchaînais les cours à la fac, les entraînements et ce petit boulot. Un agenda chargé et compliqué…
Et puis j’ai eu de la chance : étant licenciée dans un club de la région, j’ai obtenu des soutiens, des partenaires locaux qui m’ont aidée et accompagnée financièrement, notamment pour mon appartement et le matériel électronique nécessaire à mes études. J’ai aussi reçu le soutien du président de la ligue d’athlétisme, ensuite devenu président de la Fédération Française d’Athlétisme. Il m’a aidée à trouver et décrocher des contrats et des partenariats avec des entreprises : cela m’a offert un certain confort financier. Autrement, j’aurais dû continuer les petits boulots.
Durant mes années à la fac, je m'entraînais cinq ou six fois par semaine. À l'Insep, je suis passée à 10-12 fois par semaine. Cela peut paraître contraignant, mais en réalité, ce rythme était bien plus facile à gérer puisque nos professeurs s’adaptaient à nos agendas et plannings d’entraînement. J’ai même obtenu ma licence avec mention bien !
On se rend donc compte, dès lors que l’on s’adapte aux contraintes et que l’on met des professeurs avertis en face de jeunes sportifs, que le double projet sport-études est faisable.
On ne me pose jamais cette question ! Je ne me souviens même plus de mon premier titre de championne de France. J’en ai gagné un en scolaire au stade de Charléty, je devais avoir 16-17 ans. Quand j’ai gagné, j’ai bien sûr ressenti de la joie et de la fierté.
Mes parents étaient présents, et pour eux, le sport a été un véritable sacerdoce. Dans mon petit village, ils m’accompagnaient en voiture au club. Quand j’allais courir après les cours, l’hiver à la nuit tombée, je n’étais jamais seule : mon père me suivait en voiture, phares allumés. Mes parents m’emmenaient dans toutes les compétitions, tous les week-ends… C’était toute une organisation et ils ont vraiment été sportifs de haut niveau avec moi, ils ont été super. De fait, quand j’ai gagné, c’était également une victoire pour eux, pour leur montrer que tout ce qu’ils avaient fait avait un but : l’excellence.
Ce titre n’était pas une finalité pour moi, mais bien un début. Après cela, il y avait les compétitions et titres internationaux, je visais déjà les Jeux Olympiques.
Palmarès
Frédérique Quentin a non seulement été championne de France du 1500 mètres en 1992, mais aussi en 1995, 1996, 1997 et 1998. Elle a aussi brigué le titre de championne de France du 1500 mètres en salle en 1994, 1995, 1996, 1997 et 1998. Oui, « la classe », on peut le dire.
Records
En plus de ses titres de championne, Frédérique Quentin est aussi détentrice de records ! En 1999, au 1500 m, elle parcourt la distance en 4 min 05 s 58. Elle est également toujours détentrice du record de France du Mile, couru en 4 min 27 s 43 en 1996, et ex-détentrice du 1500 m en salle, en 4 min 11 s 59 en 1992, et du 1000 m en salle, courus en 2 min 43 s 15 en 1993.
Frédérique Quentin a aussi réalisé son rêve olympique et participé aux Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996, où elle sera éliminée au premier tour.
J’ai toujours su que le sport ne me ferait pas vivre, que je ne serais pas rentière une fois ma carrière terminée. J’ai aussi rapidement compris que je ne serais pas championne olympique. Oui, je ferais les Jeux Olympiques, mais je ne serais pas championne. Je suis tombée dans les années noires du dopage, notamment du côté des athlètes d’Europe de l’Est. Mes coéquipier·es et moi avons donc vite compris que les podiums seraient difficiles à atteindre.
Ayant conscience de cette réalité, j’ai poursuivi mes études en parallèle et j’ai travaillé en contrat d’insertion professionnelle (CIP). J'étais ultra-investie parce que je savais qu'à un moment, ma carrière sportive allait s'arrêter.
Peu de temps avant mes 30 ans, je me blesse. La blessure est grave, c’est une désinsertion partielle du tendon d’Achille, et elle a lieu juste avant les Jeux Olympiques de Sydney, en 2000. Clap de fin de ma saison, et je me dis également « ça y est, fin de carrière ». J’envisage une dernière saison après les jeux de Sydney, mais pas plus (ndlr : après sa blessure et une dernière tentative en championnat à Nice, Frédérique Quentin abandonne la course après 500 mètres sous le coup de la douleur et ne remettra plus ses pointes). Ma blessure n’était pas le seul critère decette décision : je sentais aussi que ce rythme commençait à me peser. Je ne vivais pas la même vie que tout le monde, trop encadrée et répétitive. Travailler, avoir des collègues, aller au cinéma, au théâtre, en soirée… Je passais à côté de tout ça.
J’ai obtenu un master en management du sport, mais ce n’était pas forcément ma vocation. Le journalisme me plaisait beaucoup, mais j’avais abandonné cette piste-là… C’est un concours de circonstance qui m’a permis de trouver ma voie. Après ma blessure, je me retrouve au bar d’un hôtel et je discute avec un journaliste. Il me demande ce que je compte faire et je lui réponds que… Je n’en sais rien ! Il savait que j’avais été pigiste et me propose alors de rejoindre le groupe Sport Ever. Trois jours après, je retrouve sa carte de visite dans ma poche en faisant mes lessives, j’appelle, j’obtiens un entretien et me voilà embauchée ! Je me retrouve rédactrice pour la rubrique Olympisme, principalement axée athlétisme, et je prends mes fonctions peu de temps avant les Jeux Olympiques de Sydney.
Au bout de 15 jours, j'ai un entretien avec mon rédacteur en chef. Il m’annonce qu’il m’envoie à Sydney pour couvrir les Jeux Olympiques ! C’était un boulot complètement dingue. On a passé des nuits à bosser puis à dormir sur des canapés pour terminer notre travail et reprendre le plus tôt possible le lendemain matin. Puis je me suis envolée pour Sydney et j’ai vécu les Jeux Olympiques, mais de l'autre côté : celui des journalistes, non des athlètes.
Au bout de 18 mois, mon aventure chez Sport Ever prend fin. Faute de budget, on ne partait plus sur les évènements, on les suivait simplement sur des télévisions, depuis l’AFP. On nous annonce un plan social et j’ai demandé à partir. Il me fallait donc un nouveau projet, quelque chose pour me porter. Un marathon, voilà mon nouvel objectif ! Et celui-ci me portera vers une toute nouvelle aventure…
En préparant le marathon de Paris, je me dis que l’évènementiel sportif me plait bien et j’en parle avec ma meilleure amie qui, à l’époque, vit aux États-Unis. Elle me parle d’un évènement auquel elle a participé : Race For Life, une course récoltant des fonds pour la recherche contre le cancer du sein.
Le sujet nous touche, bien que nous ne soyons pas directement concernées par la maladie.
En faisant nos recherches, on découvre qu’il s’agit là de la première cause de mortalité par cancer chez les femmes et que le tabou pèse encore sur cette maladie. Je rencontre une femme qui vit ce cancer et se sait malheureusement condamnée, mais qui choisit de donner de son temps pour d’autres femmes concernées… Et je me prends une claque ! Après cette rencontre, j’appelle ma meilleure amie et lui dis : « On va monter une association et organiser des événements sportifs pour lutter contre le cancer du sein ». Grâce à de bonnes rencontres et nos convictions, l’aventure Odysséa voit ainsi le jour !
C’est mon engagement associatif, et l’émotion qui accompagne chaque course Odysséa. Quand, au départ de la course, on croise des femmes encore en traitement, qui se battent, accompagnées de leur famille et que celles-ci viennent nous prendre dans leur bras en fin de course, c’est tellement fort. On se dit que ce que l’on fait, c’est bien, qu’on a eu raison de se lancer.
On peut mesurer l'impact positif pour ces femmes, parce qu'elles sont le plus souvent seules dans leur douleur, dans le fauteuil où elles reçoivent leur chimio. Ici, on peut faire partager quelque chose de positif à leurs familles.
Le sport, ça change et ça sauve des vies. Bien sûr, on peut le faire parce que c’est bon pour la santé, mais on peut aussi se lancer dans le sport parce que c’est bon pour soi, tout simplement, à condition de trouver le bon sport. Pour chaque femme et plus en général pour chaque personne, il y a une place dans le sport, que ce soit sur le terrain ou dans le bénévolat.
Aujourd’hui, Frédérique Quentin est responsable du sponsoring pour le développement du sport fémininin et d’un programme d’accompagnement des sportifs de haut niveau au sein de la Française des Jeux : « L’idée est d’accompagner des athlètes avec une aide financière, mais également dans la gestion de leur carrière de champion ainsi que la préparation et l’anticipation à l’après-carrière, en nouant des partenariats avec de grandes écoles ». Le sport fait donc toujours partie intégrante de la vie de l’ex-championne de France ! Être athlète de haut niveau, c’est aussi se réinventer chaque jour. Merci à Frédérique Quentin pour son témoignage et son engagement.