Chaque année, c’est la même rengaine : vous prenez votre abonnement à la salle, vous y allez une semaine, puis n’y reposez plus les pieds du tout, ou de manière éparse. Et chaque soir, vous vous dites “demain, je m’y mets”, mais le lendemain, c’est la tuile : tout votre corps lutte pour ne pas bouger un doigt de pied. Pourquoi notre cerveau est-il aussi récalcitrant face à l’effort ?
Ce sujet d’article, je dois le traiter depuis deux mois et le moins que l’on puisse dire, c’est que la procrastination m’a rongée de l’intérieur, m’empêchant à chaque fois de l’entamer. Face à l’écran comme à l’effort, l’envie manque, et on ne se lance pas. Pourquoi ? Nawal Abboub, neuroscientifique, nous explique les mécanismes de la procrastination, et comment y remédier.
Quand on pense “procrastination”, on a souvent en tête le ou la flemmard·e invétéré·e, incapable de se mettre à l’effort ou au boulot, sauf dans l’urgence. En réalité, la procrastination est avant tout la résultante d’un choix inconscient du cerveau face à un effort qu’il juge trop élevé. La procrastination peut s’expliquer notamment par un niveau de fatigue ou de stress trop élevé, et donc un signal de votre corps qui vous dit : “Stop, j’ai besoin d’une pause et de changement”.
Bon après, parfois, on a juste la flemme et ce n’est pas un crime non plus.
Le soir, dans votre lit, vous programmez un réveil matinal pour pouvoir, comme vous vous l’étiez promis la veille, aller à la salle et vous remettre au sport une bonne fois pour toutes. Pourtant, le lendemain matin, vous avez l’impression qu’une enclume vous empêche de bouger et la seule chose dont vous avez envie, c’est éteindre ce fichu réveil -ce que vous faites avant de rejoindre à nouveau les bras de Morphée. Franchement, il y a des jours où vous vous dites que le “vous” du soir n’a décidément rien à voir avec le “vous” du matin.
“En réalité, la procrastination vient du fait que souvent, les efforts demandés et inconsciemment perçus par notre cerveau sont difficiles”, explique Nawal Abboub, “Plus encore, quand on ne connait pas une activité, on a du mal à en estimer la charge, on l’extrapole ou bien l’inverse, on minimise sa difficulté”. En somme, l’imaginaire que l’on se fait autour du sport peut venir biaiser les décisions de notre cerveau. “On s’imagine qu’être sportif·ve, c’est se lever à 5h du matin, faire une routine d’une heure, à 10km/h… Mais le sport, ce n’est pas forcément ça”, souligne l’experte, “On se met des objectifs très hauts, qui viennent décourager notre cerveau et le pousser à la procrastination”.
Et si vous n’avez pas l’impression de réfléchir autant quand vous décidez de ne pas enfiler vos baskets, c’est parce que cette décision, votre cerveau la prend en arrière-plan, sans que vous ayez à réellement réfléchir à la question. Promis, on vous donne quelques clés pour pallier ça plus bas.
À vrai dire… Non. Je vous donne un exemple : avec mon trouble déficit de l’attention, la procrastination est presque un mode de vie chez moi. Je dois m’occuper d’un truc administratif ? Pourquoi ne pas faire le grand ménage de printemps à la maison ! Et oh, il me reste de la farine, je peux faire des cookies et puis ahlala, ces chaussettes qui trainent dans le bac à linge, il faut les laver, et si je récurais à la brosse à dent toutes mes canalisations entartrées ?
Bref, sous cette pile de tâches non urgentes, ma déclaration d’impôt attendra l’urgence de la deadline pour être complétée. Mais le pire, c’est que rien ne me pousse à changer, puisque ce système fonctionne à merveille pour moi, quand pour d’autres personnes, il pourrait être source d’un stress immense et, de fait, vecteur d’erreurs.
Ça, c’est parce que la procrastination ne touche pas tout le monde de la même façon, ni dans tous les domaines.
“Pour faire ses choix, le cerveau fonctionne par arborescence. Il calcule les efforts que vous devez fournir pour effectuer telle ou telle action et choisira l’option la plus bénéfique à son fonctionnement à l’instant T”, explique Nawal Abboub. “Si jamais vous êtes fatigué·e au moment de faire ce choix, vous allez automatiquement opter pour le choix qui vous demandera le moins d’énergie possible”. Fatalement, c’est donc la procrastination qui l’emporte, et vos baskets resteront au placard.
Ce choix est fait de manière inconsciente, et on se dit alors simplement qu’il résulte d’un manque de motivation ou de volonté. Côté sport, c’est la double peine, puisque dans une société de plus en plus sédentaire, on le voit comme superflu, et notre cerveau le classe dans le tiroir “bof, franchement, pas envie” (ça, c’est pas scientifique, c’est juste une métaphore).
Au-delà de la motivation, ce sont nos super copines (non) l’anxiété et la fatigue qui viennent jouer un rôle capital dans la vie des procrastinateur·ices. “Quand on reporte régulièrement des tâches, c’est souvent lié à l’anxiété”, souligne l’experte. “Et cette anxiété est liée à des prédispositions génétiques ou à un environnement vulnérable : isolement, environnement professionnel inadapté, contexte familial difficile… Ce n’est alors pas une question de volonté”.
Voilà de quoi décompresser et se déculpabiliser un peu : non, le fait de ne pas réussir à copier la morning routine de votre youtubeur ou youtubeuse préféré·e ne fait pas de vous un·e paresseux·euse. “Quand on veut, on peut” ? Bah… En fait, non, et ce n'est pas grave. “Ce n’est pas pour autant qu’on n’y arrivera jamais, mais les stratégies pour y accéder seront différentes”, précise Nawal Abboub, et on vous en parle plus bas !
Si vous êtes sujet·te à l’anxiété, et que vous ne parvenez pas à sortir la tête de l’eau, demandez l’aide d’un·e professionnel·le de santé. Il ou elle saura vous aiguiller en fonction de vos besoins.
Parfois, la procrastination peut être une question de tempérament, de stress, de fatigue, d’autres fois, d’hormones ou parfois encore, de tout à la fois. En effet, tout le monde ne produit pas le même taux d’hormones (celles sécrétées dans le sang ou dans les connexions neuronales), qu’il s’agisse de cortisol, ou encore d’endorphine (ou de certains neurotransmetteurs comme la sérotonine) ou de toute autre substance produite par le corps humain. “Et donc ?”, eh bien ces molécules jouent un rôle capital dans notre flemme ou notre motivation au quotidien.
Typiquement, dans un contexte de stress intense, votre production de cortisol va augmenter et fatiguer votre corps. Si vous êtes de nature anxieuse, vous aurez donc plus de difficultés à vous mettre en activité, puisque votre cerveau aura déjà reçu le signal “non, mon corps est fatigué, on va plutôt se préserver”.
Paradoxalement, la pratique d’une activité physique vous permettrait pourtant de décharger un peu de ce stress pour reprendre du poil de la bête. “Vous allez avoir ce que l’on appelle des décharges d’hormones et d’endorphine, qui vont se libérer après un effort intense”, explique Nawal Abboub. Le sport a donc bel et bien des effets bénéfiques sur le cerveau, puisqu’il lui permet de se reposer, de changer d’air, de se concentrer sur autre chose.
“Encore faut-il se motiver à prendre le chemin de la salle de sport”, me direz-vous. On y vient, encore un peu de patience !
Eh oui, la procrastination peut aussi être une question de taille… d’amygdales ! Selon une étude publiée dans la revue scientifique Psychological Science, il pourrait y avoir un lien inversement proportionnel entre la taille de votre amygdale, et celle de votre motivation.
Depuis quelques années, la tendance des vidéos “morning routine” trouve un terrain favorable sur Youtube, Instagram et TikTok. Mais si ! Ce sont ces vidéos où vous voyez l’influenceuse ou l’influenceur rayonner dès 6h du matin, et enchainer sur une session de vélo elliptique/pilates/yoga/rayez la mention inutile… Avant de vous expliquer les bienfaits de cette routine et sa simplicité. Spoiler : non, ce n’est pas simple pour tout le monde, voire pour pas grand monde (du tout).
Parfois décriés à juste titre, les chiffres de ces vidéos sont pourtant bien là : beaucoup d’internautes sont friand·es de ce type de contenus, puisqu’ils et elles y trouvent une routine perçue comme saine et idéale. D’ailleurs, ce phénomène porte même un petit nom : c’est le “that girl” routine. “That girl” (ndlr : “Cette fille” en français), c’est cette fameuse influenceuse qui arrive à se lever aux aurores, a le temps de prendre soin d’elle, de faire du sport quotidiennement, le tout dans un foyer où pas un pet de poussière ne traine, sans effort apparent.
Cette fille, on la déteste autant qu’on l’envie, alors on regarde ses vidéos pour trouver comment copier son train de vie (ou on hate watch depuis notre canapé, ça arrive aussi).
“Il est où, le problème alors ?” Le souci, c’est que ce qui est présenté dans ces vidéos est difficilement applicable par monsieur et madame Michu (comprenez : vous et moi). “Tout est mis en place pour vous laisser penser que ces routines sont atteignables”, analyse Nawal Abboub, “On vous dit ‘parce que ça a marché pour moi, ça doit marcher pour vous aussi’, mais scientifiquement, c’est un argument un peu fallacieux, puisqu’on ne fonctionne pas tou.tes de la même manière”.
Se lever à 5h du matin -comme suggéré dans le fameux livre “Miracle Morning”, référence en la matière- pour méditer, faire du sport, écrire quelques lignes… Sur le papier, ça donne, certes, l’idée que le monde vous appartiendra une fois cette routine en place. Mais la réalité, c’est que se lever si tôt, puis enchainer sur un 9h-18h au travail, et s’occuper de la maison ou autre activité en rentrant le soir, c’est une tout autre affaire. La fatigue se fait vite sentir, on finit par abandonner cette routine, on se sent nul·le, et on part la recherche d’une autre routine inatteignable. En bref : on rentre dans un cercle vicieux de motivation, déception, culpabilisation qui vient attaquer notre santé mentale. Pas ouf, cette routine-là.
“Mais ça parle pas de procrastination, tout ça, si ?” Détrompez-vous. À force de vous heurter aux échecs, vous passez à votre cerveau le signal que cet effort est vain. “Ça vous semble impossible, parce que ça l’est, ça ne correspond tout simplement pas à votre rythme de vie”, explique Nawal Abboub. À terme, tenter de nouvelles routines, même abordables, va vous apparaitre comme une tâche insurmontable et inutile, et vous… procrastinerez. Eh ouais.
Si vous souhaitez mettre un gros high kick à la procrastination (dans la mesure du possible et en fonction de votre état physique et mental) et arpenter les couloirs de la salle de sport avec un panache digne de Beyoncé, plusieurs options s’offrent à vous.
“Entrainez votre cerveau à penser que se mettre au sport, ce n’est pas directement courir une heure par jour”, explique Nawal Abboub. Les petites victoires font aussi les grand·es champion·nes, et le fait de vous imposer des objectifs faramineux ne vous transportera pas directement sur l’autoroute de la victoire. Au contraire, ceux-ci peuvent même vous décourager, et vous pousser à procrastiner. En revoyant vos objectifs et en ajoutant des étapes intermédiaires dans votre parcours sportif, vous aidez votre cerveau à visualiser des récompenses à portée de main : un créneau hebdo dédié au sport, une figure à réaliser, un poids cible à soulever, un temps d’entrainement petit à petit plus élevé… À vous de choisir !
Rien de tel qu’une bonne équipe pour se motiver à faire du sport. Qu’il s’agisse d’ami·es, de collègues ou de membres de votre famille, l’important, c’est de réussir à se motiver tous ensemble !
Tout ce que vous faites la veille constituera un obstacle en moins pour votre cerveau le lendemain ! Si vos affaires sont prêtes et à portée de main, votre cerveau sera plus à même d’accepter la tâche suivante (se mettre en mouvement, quoi). Quitte à ne pas courir, finalement, mais simplement à marcher. L’essentiel, c’est d’arriver à faire le premier pas, à votre rythme.
Plus c’est loin, moins il est facile de se motiver, puisque vous ajoutez des étapes intermédiaires que votre cerveau pourra juger comme futiles. Qui plus est, si votre journée est déjà chargée, autant vous dire que la procrastination remportera la bataille. Vous pouvez chercher une salle de sport à proximité de votre domicile ou de votre lieu de travail, ou encore opter pour du sport à la maison.
Parfois, on se dit qu’on ne fait “rien”, quand en fait, bah si. “Mais, qu’est-ce qu’elle raconte, encore ?” La dame vous dit que quand vous faites une heure de ménage, que vous jouez avec vos enfants dans le jardin, ou que vous vous rendez au travail à vélo… Eh bien, vous pratiquez déjà une activité physique ! Le fait de réaliser ça vous enlèvera peut-être un poil de stress et de fatigue qu’il engendre et vous permettra, à terme, de vous lancer petit à petit dans un sport qui vous plait.
À quoi sert d’enfiler ses baskets, si c’est pour pratiquer une heure de sport dans la souffrance la plus totale ? Encore une fois, vous envoyez à votre cerveau un signal négatif : sport = souffrance = franchement, ce sera sans moi. Donnez-vous le temps de trouver un sport qui vous procure avant tout du plaisir. Que ce soit la danse, les sports de combat, les sports collectifs… Il en existe forcément un qui n’attend que vous !
Vous n’aurez probablement pas la routine de vos influenceur·euses préféré·es, mais vous adopterez à terme celle qui convient le mieux à votre condition physique et mentale. Rien ne sert de vous culpabiliser quand vous ne parvenez pas à vous rendre à la salle de sport, ou à accomplir une tâche quelconque. Questionnez plutôt les raisons qui vous poussent à procrastiner, pour travailler sur celles-ci et améliorer votre qualité de vie. Parfois, ça prend du temps, mais c’est un bel investissement sur l’avenir, promis.
Je ne vais pas conclure en vous disant que moi, j’ai réussi à adopter une morning routine parfaite et que, vous aussi, vous le pouvez. Le matin, je traine mon corps hors du lit (c’est déjà pas mal). Parfois, je prends le vélo pour aller au travail et parfois non, mais je sais que le dimanche, j’ai musculation, parce que j’aime ça et que ça fait du bien à mon corps, comme à mon cerveau. Apprendre à s’écouter, c’est aussi une chouette routine (et réaliste, cette fois-ci).