Béatrice Barbusse : parcours d’une féministe en milieu sportif

Béatrice Barbusse :  l'engagement égalitaire en milieu sportif 

À l’avant-garde de l'engagement en faveur de l'égalité des genres dans le milieu sportif, Béatrice Barbusse, première présidente d’un club sportif masculin en France, contribue au changement de l’intérieur.

Dans le milieu du sport aussi, la parole tend à se libérer concernant les inégalités genrées et les violences faites aux femmes. Et cette parole, Béatrice Barbusse a contribué et contribue encore à la porter, par son histoire et ses combats dans le handball. Sociologue et vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball, voici le portrait de celle qui se bat pour nous toutes. 

Béatrice Barbusse, figure sportive du handball

On ne voit que trop souvent les féministes ramenées à leurs engagements militants, oubliant par là-même qu’elles sont souvent et avant tout des expertes dans leurs domaines de compétences. Pour Béatrice Barbusse, c’est le handball et la sociologie.

Du haut de ses onze ans, elle voit le handball s’inscrire dans sa vie, avant de la changer à jamais. “J’ai commencé le handball au collège et avec mes copines, on a aimé cette expérience, donc on s’est lancées en club, tout simplement”, se souvient-elle. C’est l’aspect collectif et financièrement accessible du handball qui séduit alors la collégienne. “J’ai grandi dans une famille monoparentale, et même si mon père versait une pension alimentaire, chaque sou comptait”, explique Béatrice Barbusse. Cette rencontre trace une étape décisive pour l’avenir de la future athlète. À ses quinze ans, sa pratique monte en puissance et elle évolue pendant dix ans en National 1 à Créteil et Alfortville. Béatrice Barbusse est ainsi devenue handballeuse, et vit les inégalités genrées de l’intérieur.

Pour mieux comprendre celles-ci, leurs mécanismes et leur caractère systémique, la sportive va se tourner vers la sociologie et finir par soutenir sa thèse dans le domaine, en 1997.

Sociologie, féminisme et… action !

Ses études en sociologie constituent une étape cruciale dans son éveil féministe. “Comme toutes les féministes, je le suis devenue d’abord en tant que citoyenne, par mon expérience personnelle, et mon métier de sociologue m’a permis de regarder ce que je vivais d’une façon plus distante”, précise-t-elle, “De là m’est venue l’idée de regarder ce qu’il se joue ici, pourquoi c’est si violent, si massif, et pourquoi tant de femmes subissent ce sexisme sans qu’on en parle”. Ces recherches l’amènent alors à observer le milieu sportif, encore profondément masculin, et à déceler des leviers d’actions féministes.

Ma formation généraliste m’a beaucoup aidée, puisqu’on ne s’intéresse pas au sexisme comme ça”, souligne Béatrice Barbusse, “Il a fallu que je lise énormément sur ce qu’était le sexisme, les féminismes, et la façon dont on aborde ces sujets ailleurs que dans le sport”. Politique, culture, lieux de travail, l’experte se plonge dans une analyse poussée du sexisme en société, et établit les bases de son futur ouvrage, “Du sexisme dans le sport”, paru en 2016. Ce livre marque un tournant dans le sport. Béatrice Barbusse y pointe, sous un prisme sociologique, les retards du sport en matière d’égalité des genres, la difficulté des sportives à obtenir une médiatisation pourtant salvatrice financièrement, l’inaccessibilité du sport de haut niveau aux femmes, et la parole tue des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles dans ce milieu.

Présidente du club US Ivry handball de 2007 à 2012, puis membre du conseil d’administration de la Fédération française de handball à partir de 2013, Béatrice Barbusse veut aller plus loin, repousse le plafond de verre non sans efforts, et cherche alors à changer les choses de l’intérieur. Place à l’entrisme (ndlr : stratégie politique qui consiste à intégrer une structure a priori opposée à nos valeurs pour la faire changer de l’intérieur) et à toute l’énergie que cette démarche demandera à celle qui deviendra en 2020 vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball.

“Comme toutes les féministes, je le suis devenue d’abord en tant que citoyenne, par mon expérience personnelle, et mon métier de sociologue m’a permis de regarder ce que je vivais d’une façon plus distante”

Entrisme féministe dans le milieu sportif : un combat difficile, mais nécessaire 

Est-on plus efficace dans le système, ou en dehors de celui-ci ? Cette question, toutes les féministes se la sont posée au moins une fois, et Béatrice Barbusse n’y échappera pas.

C’est le documentaire sur Hillary Clinton qui m’a convaincue que c’est de l’intérieur que l’on peut faire bouger les choses, attaquer le système, tout en ayant également des personnes à l’extérieur de celui-ci”, explique l’experte, “Mais on ne se rend pas compte à quel point c’est épuisant, surtout dans un système où vous devez vous battre pour dénoncer, faire avancer les choses tout en faisant attention à ne pas y aller trop fort, faire attention à ce que vous dites et comment vous le dites…” Ce sont des monstres d’énergie que Béatrice Barbusse déploie chaque jour, notamment dans ses fonctions de membre du conseil d'administration de la Fédération française de handball à partir de 2013, puis de vice-présidente déléguée de la Fédération depuis 2020. Béatrice Barbusse n’hésite pas à jouer des coudes pour pointer du doigt les dysfonctionnements internes, les propos ou attitudes déplacés, les avancées à entreprendre plus ou moins urgemment en matière d’inclusion et de diversité… Quitte parfois à se faire qualifier de “casse-couille” (oui, rien que ça) pour ses prises de position en faveur de l’égalité des genres. “Si je peux contribuer à faire avancer une cause, je le fais volontiers, peu importe ce que l’on pense de moi”, souligne-t-elle cependant.

L’experte ne lâche rien, et continue son combat. “Aujourd’hui, je le fais parce que j’en ai les moyens, j’ai des ressources intellectuelles, de pouvoir, de statut, et je me dis aussi que c’est mon devoir”, explique Béatrice Barbusse, “Je trouve de la satisfaction non dans l’action, mais dans les résultats obtenus”. Parmi ces résultats, l’experte a notamment permis l’installation le 8 mars 2021 d’une statue au Comité national olympique : celle d’Alice Milliat, pionnière du sport féminin. Pied de nez symbolique aux propos de Pierre de Coubertin sur les athlètes féminines, la statue d’Alice Milliat a été installée à la même hauteur, et dans un style bien plus moderne que la statue dédiée à celui qui déclara en 1912 à propos des olympiades féminines : “Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine. Ce n’est pas là notre conception des Jeux olympiques dans lesquels nous estimons qu’on a cherché et qu’on doit continuer de chercher la réalisation de la formule que voici : l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base, la loyauté pour moyen, l’art pour cadre et l’applaudissement féminin pour récompense.” Les femmes sont désormais dans les stades, sur les pistes de course et ailleurs, ne lui en déplaise.

Consciente de l’importance de la représentation et des rôle-modèles féminins, Béatrice Barbusse se dit particulièrement fière de cette installation, qui aura demandé sept ans de négociations. Loin de n’être qu’une statue, celle-ci fait figure de symbole, et donne le la à toutes les femmes évoluant dans le milieu sportif : vous y avez pleinement votre place, et votre voix peut et doit être entendue.

De la force et de l’énergie, Béatrice Barbusse aura donc su en déployer pour mettre en place les premiers changements nécessaires dans le milieu du handball, et diffuser ces évolutions bien au-delà. Pour y parvenir, l’ex-athlète a également usé de tactique et mise sur les futures générations pour reprendre ce flambeau capital.

Béatrice Barbusse : parcours d’une féministe en milieu sportif
Béatrice Barbusse : parcours d’une féministe en milieu sportif

Qui est Alice Milliat ? 

Née en 1884 et décédée en 1957, Alice Milliat était une figure du sport, tant par sa pratique de l’Aviron à haut niveau, que par ce qu’elle a pu accomplir tout au long de sa carrière en faveur de l’égalité des genres dans le milieu sportif. Elle a notamment été la première dirigeante du sport féminin mondial, et l’une des fondatrices de la Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France, créée en 1917. Deux ans plus tard, elle en prend la présidence, et marque ainsi le monde du sport. En 1921, elle fonde la Fédération sportive féminine internationale.

En hommage à cette sportive de renom, la Fondation Alice Milliat voit le jour en 2016, et se charge de récompenser les acteur·ices du sport féminin. 

“Le sport féminin a sa place dans la vie sociale au même titre que le sport masculin”

- Alice Milliat, 1917”

Le handball, pionnier en matière d’égalité des genres dans le milieu sportif

Il suffit de regarder les chiffres en matière de médiatisation des performances féminines, et de les comparer à ceux de leurs confrères masculins, pour comprendre l’ampleur de la tâche, qui incombe en partie à Béatrice Barbusse. En février cette année, l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) sensibilisait à nouveau concernant le "très faible taux de retransmission de sport féminin sur les écrans". Prenons un chiffre équivoque : en 2018, sur les 44 007 heures de diffusion de sport à la télévision, 3,6 % étaient consacrées aux femmes, contre 67,5 % pour le sport masculin. Un écart qui, grâce au travail sans relâche des acteur·ices du sport féminin dont fait indéniablement partie Béatrice Barbusse, s’est réduit au cours des quatre dernières années.

Le chemin est encore long, mais les choses tendent à changer, et le handball se veut pionnier en la matière. En 2021, le handball devient ainsi le premier sport féminin à se doter d’une convention collective garantissant ainsi les droits des joueuses professionnelles.

Préparer les futures générations pour une relève féministe efficace 

Quand j’ai reçu les insignes de la légion d’honneur en juillet 2022, la ministre m’a dit que j’étais une pionnière”, précise Béatrice Barbusse, “Mais à quoi servent les pionnières si, derrière, il n’y a rien ? Ma plus grande fierté, c’est d’avoir participé à créer une dynamique collective au sein de la Fédération française de handball”. Première femme à la tête d’un club sportif masculin en France, mise en place du plan de féminisation national dans la Fédé, mise en lumière des inégalités dans le milieu sportif par la publication de son livre “Du sexisme dans le sport” et sa réédition quelques années plus tard… Dans cette dynamique, l’experte aura tout donné pour que la parole des femmes du milieu sportif se libère enfin. Aujourd’hui, Béatrice Barbusse met ses efforts dans les générations futures, véritables investissements pour l’avenir des droits des femmes, dans tous les domaines. “Je pense qu’il faudra qu’une ou deux générations partent pour que l’on puisse observer encore des avancées majeures”, explique-t-elle, “C’est pour ça qu’il faut travailler les nouvelles générations dès à présent”.

La première pierre de l’évolution a été posée, les femmes trouvent désormais leur place dans les institutions sportives. “La deuxième étape, c’est de dire qu’on peut prétendre aux mêmes postes que les hommes, aux mêmes responsabilités, et pas seulement à celles relatives aux performances sociales, aux violences sexuelles et à la communication, quand les hommes ont les sujets sportifs, économiques et marketing”, poursuit Béatrice Barbusse. Pour y parvenir, l’experte a sa méthode. “Il faut savoir alterner les moments où l’on se positionne en suffragettes, où l’on tape du poing sur la table, et ceux où l’on fait preuve de tactique pour faire des hommes nos alliés, mais également conscientiser les femmes du milieu sportif, encore majoritairement opposées au féminisme”, détaille-t-elle.

À celles et ceux qui voient le féminisme comme un combat fait aux hommes, Béatrice Barbusse oppose un discours plus nuancé. “Moi, je ne veux pas remplacer le pouvoir des hommes par celui des femmes, je n’en veux pas, du pouvoir. L’essentiel, c’est d’être influente, d’avoir une influence sur la marche des choses”, explique Béatrice Barbusse, “Construisons un monde plus égalitaire ensemble”. Une tâche qui nécessite encore bien des coups de coude et montagnes de diplomatie, mais l’experte n’en démord pas : le féminisme doit être universel et s’ouvrir à toutes les femmes, même celles qui y sont réfractaires. “C’est un combat pour les femmes, même s’il n’était qu’à destination de quelques femmes au départ”, précise-t-elle, “Sans elles, on n’aurait pas du tout la même vie aujourd’hui, pas le droit de vote, pas de compte en banque, pas de job. Il ne faut pas oublier ce pan de l’Histoire”. Un coup d’œil averti vers le passé pour mieux préparer l’avenir, en somme.

“Il faut savoir alterner les moments où l’on se positionne en suffragettes, où l’on tape du poing sur la table, et ceux où l’on fait preuve de tactique pour faire des hommes nos alliés, mais également conscientiser les femmes du milieu sportif, encore majoritairement opposées au féminisme”

Dans le sport comme en féminisme, Béatrice Barbusse joue collectif avant tout et conclut l’entretien sur une phrase de Gisèle Halimi qui l’inspire, et inspirera encore bien d’autres générations à venir : “Vous êtes importantes, devenez prioritaires”. Et ça, c’est aussi possible à votre échelle, en investissant les clubs de vos villes !

Béatrice Barbusse : parcours d’une féministe en milieu sportif

Val

Journaliste - rédactrice web

Journaliste société, passionnée de réseaux sociaux (la Twitter fever, tu connais) et de sport. À mes heures perdues, on me retrouve sur une barre de pole dance ou sous la barre de hip thrust, ça dépend des jours.

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