Jugement sportif : la subjectivité est-elle inévitable ?
Pour répondre à cette question, je me suis entourée de pointures :
Dominique Blanc-Laine, ex-vice-championne mondiale, entraîneuse de l’équipe de France dans les années 90 et juge en natation artistique ;
Caroline Florent, responsable régionale des juges des Hauts-de-France et juge nationale depuis 2003 en gymnastique rythmique et pour le patinage artistique;
Magali Estevez, ancienne patineuse internationale, responsable du corps arbitral du sud de la France et juge depuis une vingtaine d’années.
Toutes l’avouent, il est évidemment difficile de mettre son propre jugement de côté lorsque l’on juge. “Même si on fait l’effort, inconsciemment, il y a toujours quelque chose qui nous touche personnellement.” Caroline préfère d’ailleurs juger la partie technique des prestations : “La faute corporelle est beaucoup plus facile à voir que la faute musicale.” Bien qu’avec la vitesse d’exécution de certaines équipes, il faut un œil bien avisé. Caroline : “Si l’enchaînement est créé sur une musique qu’on n’aime pas et que les gymnastes respectent la thématique de leur musique, pourquoi les pénaliser ?” Magali ajoute : “Quand on juge, on n’a pas le droit de dire j’aime ou je n'aime pas. C’est indéniable, on a toutes notre sensibilité et notre subjectivité, c’est l’expérience qui nous rend objectives.”
Rester objectif·ve en laissant parler les émotions, ça s’apprend
Les astuces de nos juges interrogées, pour rester le plus possible objectives, c’est de s’appuyer sur ce qui a de plus factuel : l’utilisation de l’espace, le respect de la musique, les liaisons. Surtout, elles se demandent : “Est-ce que j’ai compris le message que les athlètes nous ont délivré pendant cette prestation ou est-ce que je me suis ennuyée ?”
Une chose est certaine, la culture musicale, théâtrale, cinématographique (bref, la culture) est indispensable pour être un bon juge. Cela permet de comprendre plus facilement les références à certaines œuvres et de capter les clins d’œil glissés dans les chorégraphies.
Qu’est-ce qu’on attend d’une discipline artistique ?
Du charisme, des vibrations, un univers qui nous tient tout au long de la performance, qui nous cueille. Des “wouah” et ça, c’est grâce à la façon dont les athlètes nous racontent leur histoire, nous font entrer dans leur univers. Cela va du choix du costume et de la musique jusqu’au choix de la chorégraphie : la synchronisation des mouvements, en canon, en cascade, les énergies que les athlètes utilisent pour exécuter leur mouvement, avec force, douceur, ou ralenti, etc., ou encore les intentions que les gymnastes donnent à leurs mouvements. Il y a une grande part de théâtre et de comédie dans les activités artistiques.
Notre œil aime la symétrie et la synchronisation
C’est la fluidité de la chorégraphie, sans parasite ni obstacle que l’œil apprécie, le “tout prévu” “bien ficelé” : bref, notre œil valorise le “sans-faute”. Pas de place pour l’improvisation dans ce genre d’activité, même si ça peut dépanner de temps en temps. Rien ne doit venir questionner sur ce qui est en train de se passer. Le juge, comme le spectateur, doivent être emmenés dans l’histoire ou l’univers qu’on leur propose le temps de la chorégraphie : c’est ça, le challenge !