Alimentation, régimes, dérives : les TCA, on en parle ?

Alimentation, régimes, dérives : les TCA, on en parle ?

Troubles des comportements ou conduites alimentaires, qui sont-ils ? Les comprendre pour mieux les combattre.

Pour comprendre les troubles des conduites alimentaires, je suis retournée sur les bancs de la fac, j’ai passé les portes d’un hôpital de jour spécialisé dans les TCA et me suis imprégnée de lectures et de témoignages que je vous partage.  

Avec l’aide de :
- Vincent Dodin, psychiatre à l’hôpital de jour de St Vincent, auteur de 4 ouvrages sur les TCA dont Anorexie, boulimie, en faim de conte… en 2017.
- Maxime Macor, enseignant d’activité physique adaptée et formateur des masters APA, spécialisé dans les TCA à l’hôpital de jour de St Vincent à Lille.

Que sont les TCA ?

C’est à l’hôpital Saint Vincent de Paul à Lille, auprès du Professeur Dodin, psychiatre, que la définition des TCA me marque le plus : “C’est une maladie mentale, on parle surtout d’une addiction, une forme de toxicomanie.
Le Pr Dodin met l’accent sur le mécanisme qui se produit dans le cerveau pour illustrer sa définition : “Pour la personne anorexique, le jeûne prolongé va agir sur le cerveau comme de la cocaïne. Effet euphorisant, stimulant, apaisant. Une impression qu’intellectuellement, on est plus percutant, que sur le plan sportif, on est plus endurant, que nos perceptions sensorielles sont exacerbées. Jusqu’à ce que le corps ne puisse plus suivre. Dans la boulimie comme dans l’hyperphagie, on voit combien le rapport à la crise est un régulateur des émotions, des angoisses, du stress, même si ça génère de la culpabilité à la fin des crises.

Évidemment, ces mécanismes addictifs et la consommation de stupéfiants se heurtent aux  limites du corps…

Si les patient·es s’engagent d’abord volontairement et en conscience dans une restriction alimentaire ou des crises de boulimie pour contrôler leur poids, le Pr Dodin m’explique qu’à un moment, le mécanisme échappe au libre arbitre et c’est là que le sevrage intervient : “pour retrouver un mode “normal” du rapport à l’alimentation.” Il n’est jamais trop tard pour choisir un accompagnement, dès les premiers signes, n’hésitez pas à consulter pour minimiser les risques de TCA.

Les 3 TCA principaux

C’est assise à la dernière rangée d’un des amphithéâtres de la fac des sports de Lille que ma sensibilisation aux TCA continue. Maxime Macor, enseignant en Activité Physique Adaptée (APA), explique à l’assemblée d’étudiant·es en 3ᵉ année de licence APA la définition de ce sigle : TCA. Les troubles des comportements ou conduites alimentaires, ou ED (eating disorder) pour les anglophones. Anorexie mentale, boulimie, hyperphagie sont les trois troubles des conduites alimentaires que Maxime Macor détaille durant son cours.

L’anorexie mentale

Maxime commence par clarifier les termes :  lorsque l’on parle de la maladie, l’anorexie se dit “mentale”. Il s’agit, entre autres, d’une absence d’appétit. Parmi les personnes atteintes d’anorexie mentale, on compte 9 femmes pour 1 homme, en sachant que cette maladie reste un tabou notamment chez les hommes et qu’il est difficile de la diagnostiquer. La maladie peut se développer à la puberté et à l’entrée dans l’âge adulte. Depuis peu, ce chiffre augmente chez les jeunes ados.

Maxime indique que cette maladie mentale est un enjeu de santé publique, le taux de mortalité étant l’un des plus élevés de tous les troubles psychiatriques.

Quels sont les signes ?

Des signes de troubles obsessionnels alimentaires peuvent être le début d’une anorexie :
-Orthorexie : la personne ne mange que des aliments dits “sains”.
- La personne refuse de manger ce qu’elle n’a pas cuisiné.
- Investissement croissant dans la préparation culinaire.

Parmi les signes physiques, on peut observer des œdèmes de carence, un visage émacié, des cheveux plus secs.

Vincent Dodin précise le changement comportemental : “On observe un changement du traitement de l’info par le cerveau chez la personne atteinte d’anorexie. Le jeûne s’accompagne d’effets délétères : anxiété, rumination qui s’accompagne d’une perception différente de soi.” On y retrouve également des symptômes sociaux : “Les personnes atteintes d’anorexie montrent souvent une perte d’intérêts pour les loisirs. Elles s’enferment dans le scolaire ou le sport, des activités physiques d’endurance ou de musculation qui prennent des proportions colossales.

La boulimie

La boulimie vient du latin boulemia nevrosa soit “grande faim dévorante”. Le premier diagnostic de boulimie a véritablement été posé dans les années 80. Contrairement à l’anorexie mentale, les signes physiques sont moindres. Il s’agit de crises alimentaires, suivies de comportements compensatoires (sport à outrance, vomissement, etc.). Pour les personnes atteintes de boulimie, la nourriture peut être un moyen de combler une perte, quelle qu’elle soit. Les aliments favorisés sont souvent ceux qui secrètent le plus de sérotonine. Le grand risque des comportements compensatoires se trouve dans la perte de potassium, qui présente un véritable risque vital, car le potassium est un minéral nécessaire au bon fonctionnement de nos cellules, nerfs et muscles.

Le poids des personnes atteintes de boulimie est souvent assez stable. Au niveau psychologique, le Pr Dodin explique : “Chez les personnes atteintes de boulimie comme d’anorexie, il y a un processus de différenciation corps/psyché, il y a une volonté d’effacer le corps et progressivement une volonté de morcellement du corps, d’isoler le corps de l’esprit et d’en faire une obsession. “ Ce que je comprends à ce moment-là, c'est le combat intérieur que les personnes atteintes de TCA mènent contre leur propre corps et leur esprit.

L’hyperphagie

L’hyperphagie est un des troubles alimentaires répertoriés les plus récemment parmi les TCA dans le DSM-5 (le manuel de classification des troubles mentaux et psychiatriques), à savoir en 2013. Il s’agit de boulimie sans comportement compensatoire. Cette pathologie dirige progressivement les patient·s atteint·es de boulimie vers l’obésité dite morbide (qui représente des risques graves pour la santé). La médecine a encore beaucoup de difficultés à le diagnostiquer. Maxime Macor alerte : “Aujourd’hui 50 % des personnes reconnues comme obèses ne sont pas diagnostiquées hyperphages et sont juste décrites comme “gourmandes”. Il faut avoir en tête que le régime de ces personnes est secondaire à leur trouble alimentaire.” Pour le Pr Dodin : “L’hyperphagie ne se déclenche pas de la même manière que pour l’anorexie ou la boulimie. Le rapport à l’alimentation a un effet doudou, régulateur émotionnel.” On y associe souvent l’expression “manger ses émotions”.

Les facteurs de risques des TCA

L’insécurité, terreau des TCA

Ces TCA se déploient sur un terrain propice : l’insécurité. Vincent Dodin approfondit : “On ne naît pas avec un gène de cette maladie mentale. Ce sont, la plupart du temps, des facteurs de risques qui exacerbent l’insécurité comme avoir une mauvaise estime de soi ou très peu confiance en soi, être très angoissé·e, très perfectionniste, avoir une peur excessive du jugement des autres ou très peur de l’abandon.” Bien entendu, le psychiatre nuance et me précise que ce n’est pas parce qu’on a ce genre de caractéristiques que l’on déclenche systématiquement un TCA.

L’insécurité a un effet domino qui s’apparente davantage à une violente avalanche de conséquences : “Plus on se sent en insécurité, plus on a tendance à aller chercher des informations sur la normalité des corps, plus on a tendance à se comparer, plus on se compare et plus on est à risque de développer des TCA.”

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L’évolution d’une société toujours normée

Tout TCA commence par régime”, une phrase un peu choc, je vous l’accorde, mais qui n’en est pas moins juste, d’après le Pr Dodin : “Quand vous êtes à un poids morphologique (ndlr : un poids non pathologique) et que vous voulez perdre 2 ou 3 kilos, vous allez déployer une énergie considérable parce que ça va devenir une obsession... Dès que vous allez arrêter ce régime, vous allez avoir un seuil de satiété plus élevée, donc avoir beaucoup plus faim qu’avant, vous mangerez plus, puis vous prendrez plus de poids, vous angoisserez ensuite de prendre du poids, alors vous culpabiliserez et repartirez dans un régime…” Un cercle infernal, vicieux, qui pousse à de plus en plus de restrictions, de craquages et de culpabilité.

Pourquoi veut-on tant maigrir ?

La sphère médiatique n’y est pas pour rien. Au fur à mesure des époques, nous avons été abreuvé·es d’images formatées : de corps, de couleur, de postures. Aujourd’hui, l’exposition est intensive : aux publicités s’ajoutent les réseaux sociaux, les héros et héroïnes des nombreuses séries disponibles sur les plateformes, des films, etc.

L’évolution sociétale influence notre vision du monde et la perception de nous-mêmes dans ce monde. Si on rembobine un peu, encore un peu… STOP, parfait : nous voilà dans les années 80 et son culte de la minceur. C'est à partir de ce moment-là que le sport est notamment devenu l’outil de minceur ultime, le produit qui fait transpirer, sculpte et participe à l’érotisation des corps. C’est aussi à cette époque que le corps féminin devient, lui, outil de séduction dans des pubs de voiture (pour ne citer que celles-ci). Le corps féminin a connu bien des injonctions au fil des époques et, à chaque étape de sa libération, une nouvelle injonction fait son apparition (ex : du corset au soutien-gorge balconnet, du soutien-gorge au no-bra…). Le corps devient marchandise… Des injonctions qui participent à la désincarnation des corps.

Comment peut-on faire pour lutter contre les injonctions ? Comment participer à la déconstruction de l’imaginaire commun ?

Le travail est colossal. Des lois ont été mises en place pour encadrer notamment le métier de mannequin, ou faire en sorte que les retouches des corps sur les publicités soient mentionnées explicitement. Des mouvements comme le body positive bousculent la pensée collective. Mais comment nous, à notre niveau, pouvons-nous lutter ? Le Pr Dodin me parle d’un exercice de visualisation qu’il pratique souvent avec ses patient·es pour apprendre à se libérer des injonctions bien trop ancrées : “Il faut repérer les causes des blocages et des distorsions. J’utilise souvent la métaphore de la classe de maternelle. Je revisite la perception d’un souvenir : dans votre souvenir, la maîtresse est immense, elle vous fait peur et les tables et chaises sont à votre taille. En fonction de l’expérience et de la maturité, vous avez évolué, c’est alors qu’on démonte des anciennes pensées. Vous retournez dans votre classe à l’âge adulte : la maîtresse vous semble toute chétive, gentille, et les tables et chaises sont désormais bien trop petites… En faisant ce genre d’exercice, on se débarrasse des anciens monstres, ce qui permet progressivement de vivre autrement nos expériences.”

Les réseaux sociaux : des catalyseurs extrêmes

Le Pr Dodin a bien conscience que les facteurs de risques des TCA évoluent au rythme de la société : “Aujourd’hui, la place des réseaux sociaux est prépondérante dans le développement des TCA. Tout se joue entre réel et virtuel : la perfection dans l’image est à la fois une obsession (ce vers quoi il faut tendre) et un mythe impossible (inaccessible, car tout est transformé, retouché, maquillé).” Chaque corps est différent, possède sa singularité, je dirai même que chaque corps est unique et qu’il ne doit pas exister une représentation unique des corps.

Vincent Dodin constate : “Aujourd'hui, la société met en avant des corps sculptés, avec des tailles très fines, une poitrine volumineuse, comme une imitation des dessins d’animation qui aboutit au même point : la volonté forcenée de maîtriser ce corps, de le sculpter à l’image que l’on perçoit comme idéal et qui circule à travers les médias. Sauf que le corps des réseaux sociaux n’est plus un corps humain, c’est un corps avatar.”

Comment retrouver un lien sain avec son sport ?

Si le sport peut être un élément déclencheur des TCA, tout comme l'entourage, c'est surtout le rapport au sport qui construit le TCA. Et ça, ça peut changer ! Eh oui, le sport peut être une porte de sortie des TCA, à condition de le pratiquer de manière encadrée et adaptée. C’est ici que la pratique de l’activité physique adaptée (APA) peut permettre au sport de retrouver une place saine et raisonnée dans la vie des patient·es.

Maxime Macor, enseignant APA, nous explique comment s’y prendre pour retrouver toutes les vertus mentales et physiques du sport : “Quand les patient·es sont hospitalisé·es, seules les personnes ayant un IMC supérieur à 14 sont autorisées à faire une activité physique adaptée. L’objectif de la prise en charge par l’enseignant APA est d’agir sur les caractéristiques de la maladie. L’activité physique favorise la décharge émotionnelle, la reconnexion avec le corps, la lutte contre la diminution de la densité osseuse (ostéopénie), elle permet de retrouver le plaisir et de lâcher prise.”

Vincent Dodin, psychiatre, complète les bienfaits de l’APA : “La pratique du sport adapté à des effets positifs. Elle permet de mieux accepter l’alimentation dans le processus de soin. En s’alimentant, on se redonne de l’énergie, on va construire du muscle, découvrir une activité physique structurante. L’APA permet de retrouver une physiologie globale dite “normale” qui va donner un rythme de vie régulier avec le respect des temps de repas, des temps de veille/sommeil, des temps de travail et de loisir.”

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La réappropriation du corps avec l’APA

L’APA contribue à lutter contre l’effet de distorsion : l’image biaisée de notre corps. Le Pr Dodin et Maxime Macor mettent l’accent sur la nécessité de la pluridisciplinarité pour optimiser les effets de l’APA. Lors de leur suivi médical en structures adaptées, les personnes atteintes de TCA sont entourées de psychomotricien·nes, diététicien·nes et psychologues. Tout ce suivi, en plus de l’APA et d’autres activités créatives, favorise la découverte d’autres façons de mettre en action, en mouvement son corps. Vincent Dodin appuie l’efficacité de l’APA : “Elle participe à une meilleure connaissance de son corps, des os, des muscles. Ça peut contribuer à l’acceptation de sa morphologie de base avec l’aide des autres disciplines comme la psychothérapie. Tout ça permet d’accepter son histoire.

Quel sport adapté pratiquer ?

Je parle ici des sports que l’on peut pratiquer au sein d’une structure adaptée. Maxime me confie utiliser régulièrement la boxe avec ses patient·es : “C’est un véritable défouloir. Les personnes apprécient ce moment où elles peuvent extérioriser leurs émotions.” Il opte également pour des jeux ludiques et collectifs qui développent le rapport à l’autre comme “une passe à 10” ou parfois même du foot. À travers l’APA, le renforcement musculaire trouve une place différente : ce ne sera plus un outil pour brûler des calories, mais un moyen de retrouver un corps solide. Et pour augmenter la bienveillance envers soi et la détente, le yoga s’avère être un parfait allié. Évidemment, en fonction des appétences de chacun et chacune, de nombreux sports peuvent être pratiqués. Au début, on privilégie un encadrement adapté pour ensuite progressivement retrouver son autonomie dans la pratique sportive.

“Plus le trouble est pris en charge tôt, plus on se donne les chances d’en guérir. Pr Dodin”

Est-ce qu’on guérit des TCA ?

Après ces longs moments à m’être penchée sur le sujet des TCA, un doute m’a lentement gagnée… Lorsque la maladie a fait son nid, peut-on vraiment s’en débarrasser ? À quel moment peut-on se dire que les patient·es ont gagné le combat contre la maladie ? Le Pr Dodin me rassure : “Bien sûr qu’on en guérit. Plus le trouble est pris en charge tôt, plus on se donne les chances d’en guérir.” Vincent Dodin reçoit régulièrement des nouvelles de ses patient·es en paix avec leur corps et leur alimentation après plusieurs années de TCA.

Alors, si en lisant mes mots sur le sujet, des petites lumières se sont allumées, je vous invite à consulter votre médecin généraliste qui saura vous conseiller pour une prise en charge adaptée.

Je remercie Maxime Macor et Vincent Dodin de m’avoir livré leurs connaissances et expériences. Ce que je retiens : faire la paix avec son histoire et son corps est la clef d’une vie sereine…et le mieux, c’est que cela peut être contagieux. Prenez soin de vous.

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Céciliane

Journaliste et coach sportif

 Grande adepte des activités artistiques. Toujours présente pour supporter et admirer les grands événements sportifs !

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