Découvrir ou redécouvrir le patinage artistique au-delà des préjugés : c’est ce que l’on vous propose dans cet article.
Anne-Sabine Brunel est présidente du club Entente Patinage Wasquehal Lille Métropole qui compte aujourd’hui 300 licencié.e.s enfants, jeunes et adultes. Elles et ils pratiquent la danse sur glace, le patinage artistique et le patinage synchronisé.
De son côté, elle m’avoue ne jamais avoir vraiment enfilé de patins, sauf pendant les vacances. Pourtant, les sports de glace, elle les connaît bien. Elle baigne dans cet univers avec ses filles, qui glissent depuis maintenant plusieurs années.
Entre midi et deux, pendant sa pause-déjeuner à quelques mètres de la piste de glace lilloise, elle me raconte le quotidien de son club : l’occasion de briser la glace… Et de revenir ensemble sur les préjugés qui collent à ce sport.
Si le patinage est loin d’être un sport réservé aux femmes, la présidente du club EPWLM constate une importante majorité de filles et de femmes dans son club : “ Je pense qu’on a environ 15 garçons/hommes sur 300 pratiquant·es sur toutes les disciplines”. Une présence féminine importante qu’Anne-Sabine constate aussi dans la majorité des autres clubs, tous niveaux confondus, en France et à l’international.
Et si l’on regarde d’un peu plus près les chiffres, l’enquête menée par le Ministère Jeunesse et Sport et l’INSEP en juillet 2000 démontrait qu’en France, sur un total de 500 000 de pratiquant·es de patinage sur glace, 71% étaient des femmes. Je vous l’accorde, l’enquête date un peu, mais selon Anne-Sabine Brunelle cette différence entre le nombre de pratiquant·es femmes et hommes est toujours bien présente.
Pourtant à l’origine, le patinage artistique était un sport réservé aux hommes. Et pour la petite histoire, certaines figures comme l’Axel portent encore le prénom de certains d’entre eux. C’est l’arrivée de Florence Madeleine, appelée "Madge" Syers, dans le sport qui changera par la suite la donne. En 1902 elle participe aux mondiaux de patinage avec les hommes et se classe deuxième. L’année suivante, l’Union internationale de Patinage décide de les exclure et de créer, à part, des championnats du monde pour les femmes. Le patinage devient ainsi l’un des premiers sports à se féminiser.
Probablement “par méconnaissance de la discipline” explique la présidente du club de patinage. Pourtant, elle en est sûre, "davantage de mixité, c’est essentiel ! " Sur un plan purement sportif, cela permettrait par exemple aux patineur·ses de travailler davantage en “couple”, et donc de proposer “des choses plus spectaculaires”, comme les portés.
Même observation dans le public : le patinage artistique serait aujourd’hui un sport plus regardé par les femmes que par les hommes.
Anne-Sabine nous raconte : “Il y a quelques années, on avait un garçon dans le club. Il ne voulait surtout pas dire à l’école qu’il faisait du patinage par peur du regard des autres”. Et il ne s’agit probablement pas d’un cas isolé. Preuve qu’un gros travail de tolérance reste encore à faire pour dépasser ces préjugés.
Il est difficile de ne pas se tourner vers la compétition en patinage artistique, surtout chez les jeunes, reconnaît Anne-Sabine Brunelle : “C’est compliqué de maintenir un niveau loisir avec des jeunes ados, surtout quand ils ont du talent”. Alors très tôt, ils se tournent vers la compétition. Elle explique : “On peut commencer à patiner à partir de 3 ans, et généralement, les premières compétitions pour les patineur·ses artistiques se font à environ 7 ans”.
C’est “très contraignant pour eux” explique la présidente du club : “Il faut être assidu, endurant et accepter des horaires difficiles et décalés. Avant ou après les cours, on commence à 6h40 et on termine vers 22h.”
Dans ces conditions, il est difficile de ne pas développer un fort esprit de compétition. Et aujourd’hui, le patinage garde toujours l’image d’un sport dur, où tout se joue parfois en quelques secondes, et où les patineur·ses n’ont pas le droit à l’erreur. Et cette image elle a surement été alimentée par certaines rivalités dont vous avez peut-être entendu parler…
Vous connaissez peut-être l’affaire Nancy Kerrigan et Tonya Harding ? Je vous raconte. Nous sommes en 1994, à la veille du championnat américain. La patineuse Nancy Kerrigan est alors parmi les favorites. C’est alors qu’elle se fait agresser dans les couloirs du Cobo Arena de Detroit. Elle est victime d’un violent coup de barre de fer dans la cuisse. L’agresseur prend la fuite.
Tout de suite, des soupçons se tournent vers sa grande rivale Tonya Harding. Je ne peux pas vous laisser sans le dénouement : l’agresseur sera finalement retrouvé. Il s’agit de Shane Stant, ancien garde du corps de Tonya Harding. Cette dernière ne cessera de clamer son innocence. Toutes deux se retrouvent sur la glace lors des Jeux olympiques de Lillehammer. Nancy Kerrigan décroche l’argent, Tonya Harding déconcentrée (une histoire de lacet cassé), rate son épreuve et termine huitième.
Je vous fais ici un très court résumé, alors si vous voulez en savoir plus sur cette histoire, je vous conseille de regarder le film “Moi, Tonya”.
“J’ai envie de vous dire, venez essayer” répond avec le sourire la présidente du club. Elle ajoute : “Et je vous dis ça alors que même moi je n’en fais pas”.
Le patinage est un sport qui impose une discipline aussi bien dans l’agenda que sur le plan physique et mental : “Au niveau national un·e patineur·se pratique tous les jours avec 1 à 2 entraînements. Il fait aussi de la préparation physique (cardio, renforcement, étirements.. ) plusieurs fois par semaine”.
Vous saviez-vous que lors des sauts, les patineur·ses pouvaient atteindre des vitesses de rotation allant jusqu’à 400 tours par minute ? Je vous laisse essayer de faire 4 tours sur vous même et dans les airs en moins de 0,7s.
Bon, le prochain qui dit que ce n’est pas du sport…
“Non ça, ce n’est pas vrai !” constate Anne-Sabine, même si c’est vrai que cela arrive.
Alors ne vous y méprenez pas et n’oubliez pas que ce qui se passe sur la glace c’est avant tout du spectacle ! Les champions français Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, sont par exemple, en couple uniquement sur la glace.
La présidente du club explique qu’il s’agit par contre d’un sujet important dans le sport, notamment chez les enfants et jeunes adultes : “lorsque l’on pratique en couple, on doit bien s’entendre à 2, les parents aussi et puis quand on grandit et que l’on arrive à l’adolescence il y a parfois un peu de gêne qui s’installe”. Elle ajoute : “Se tenir la main, se regarder, créer une complicité ce n’est pas toujours évident”.
Des paillettes dans nos vies, on en veut tous, mais sur le costume, je vous rassure ce n’est pas imposé.
Anne-Sabine Brunelle explique qu’aujourd’hui, “au niveau de l’entraînement, ça s’est assoupli. Mais au niveau des compétitions, un peu moins.” La raison ? Le patinage est aussi un sport de représentation et d’interprétation avec une dimension artistique à laquelle la tenue contribue. Les juges le prennent d’ailleurs en considération.
C’est d’ailleurs un véritable investissement pour les pratiquant·es et leurs parents (quand les sportif·ves sont plus jeunes). À haut niveau, le prix d’un costume peut avoisiner les 4000 euros. Oui, rien que ça. Alors pour des raisons financières ou autres d’ailleurs, certain·es patineur·ses confectionnent eux-même leurs costumes. D’autres, font à l’inverse faire leurs costumes par des grand·es couturier·es. Je pense d’ailleurs à l’ancienne patineuse Vera Wang qui une fois devenue créatrice de mode a réalisé plusieurs costumes pour les patineur·ses dont Nancy Kerrigan et Michelle Kwan.
Fait-maison ou non, ceux-ci doivent répondre à une réglementation stricte imposée par la Fédération internationale de patinage.
Et enfin détrompez “costume” ne veut pas forcément dire strass et paillettes : de plus en plus de patineur·ses font le choix de la sobriété dans leurs tenues, ce qui n’enlève rien ni au spectacle ni au sport.
Le kiss and quoi ? Mais si vous savez ! Littéralement, “Kiss and Cry” ça signifie “embrasser et pleurer”.
C’est l’endroit et le moment pendant lequel les compétiteur·ices se retrouvent face caméra aux côtés de leurs entraineur·ses pour attendre le verdict des juges suite à leur prestation. On l’appelle ainsi car c’est aussi le moment où en réaction aux résultats, les sportif·ves peuvent s’embrasser ou pleurer. Mais évidemment, pleurer ou s’embrasser ce n’est jamais obligatoire…
La présidente du club explique que cette pratique “existe surtout dans les compétitions nationales et internationales pour le patinage artistique et à tous les niveaux pour le patinage synchronisé”.
Selon elle, il s’agit de moments importants: “Moi je trouve ça super de voir comment les compétiteur·ices réagissent à leurs résultats et puis c’est un moment de partage avec les entraineur·ses. Ça permet aussi aux sportif·ves de se regarder et de comprendre leurs propres réactions”.
En parlant scores et résultats, qu’en est-il des juges dans tout ça ? Est-il vrai qu’ils ne sont pas toujours impartiaux ? “Un·e juge est avant tout humain. C’est compliqué d’oublier certains éléments extérieurs” constate la présidente du club. Selon elle, le·a juge prend forcément en considération: “comment il ou elle ressent la musique, le programme, la tenue…” : des critères subjectifs sur lesquels il n’est pas toujours possible de faire l’impasse.
“Il y a aussi l’ordre de passage qui joue” explique Anne-Sabine Brunelle. Elle ajoute : “Notre prestation sera forcément jugée différemment en fonction de qui passe avant ou après”.
Enfin, selon elle, “il y a aussi l’ancienne appartenance à un club” qui peut faire pencher la balance d’un côté.
Mêmes risques au plus haut niveau. Ainsi, par exemple l’année 2002 a été marquée par un scandale lors des Jeux Olympiques de Salt Lake City. Une juge française a reconnu (avant de se rétracter), avoir favorisé les Russes au détriment du duo Canadien lors de la compétition des couples. Le couple canadien, se verra par la suite rendre sa médaille.
Ce scandale n’est pas le seul et pour pallier ce fléau, le système de notation a été revu plusieurs fois par la Fédération internationale de patinage.
Selon Anne-Sophie Brunelle, le patinage est un sport avec des codes, méconnu du grand public. C’est ce qui explique l’image que l’on s’en fait, celle d’un sport fermé et compliqué. Davantage de médiatisation : voilà la solution en laquelle elle croit pour la contrer. Elle ajoute : “De notre côté on pourrait aussi avoir plus d’idées pour diversifier et faire connaître notre sport au public, mais on est trop contraint·es par le nombre d’heures et le manque de disponibilité des pistes”.
Quand elle imagine l’avenir du patinage artistique, Anne-Sabine pense avant tout à la question de la transition énergétique . Au quotidien, une piste de glace demande une certaine consommation d’énergie. Et aujourd’hui, les clubs craignent qu’on leur supprime leur terrain de pratique car trop énergivores et chers à entretenir.
Pour la présidente du club, il est possible que les patinoires soient à l’avenir contraintes de fermer à certains moments de l’année. “À raison !” Ajoute la présidente du club : “Il faut être raisonnable avec l’énergie, on doit faire baisser notre facture énergétique” que ce soit pour des raisons évidentes d’écologie ou des enjeux financiers. “J’aimerais que l’on trouve des solutions pour avoir des patinoires complètement autonomes” confie-t-elle : panneaux solaires, recyclage et récupération de l’énergie… Ce ne sont pas les idées qui manquent.
Enfilez des patins et vous verrez, si ce n’est pas du sport ! Sur la glace ou non, quel que soit le sport, je vous invite toujours à tester, vous informer et suivre l’actualité de votre sport pour transpirer, au-delà des fausses idées.