Ouvertes à tout le monde ou aux seules femmes et personnes trans, les sorties à vélo prennent désormais différents visages. Pourquoi rouler en non-mixité choisie ? Les Girls on Wheelsh nous répondent !
Groupe de cyclistes nordistes, les Girls on Wheelsh proposent des sorties à vélo en non-mixité choisie. Qu’est-ce que c’est, et quels avantages ces sorties revêtent pour les personnes concernées ? Amandine, Aurélie et Lucie nous répondent.
« Tout vélo, tout niveau, tout cuisseaux », voilà le leitmotiv de nos trois interviewées et de leur groupe de cyclistes du Nord de la France. Que vous soyez vélo route, gravel, BMX ou autre, et ce, peu importe votre âge, vient qui veut, chez les Girls on Wheelsh.
Elles en ont sous le guidon, les Girls on Wheelsh. Le groupe de cyclistes nordistes a vu le jour il y a quelques années, et se trouve être l’équivalent ch’ti du groupe parisien (presque) éponyme, Girls on Wheels, créé quant à lui en 2016. « Je cherchais des femmes avec qui rouler à Lille parce que je roulais seule et que je faisais sans cesse la même boucle », explique Amandine. Après quelques recherches sur le web, la cycliste tombe sur le groupe Facebook des Girls on Wheels, communauté de cyclistes parisiennes. « J’ai demandé si des Nordistes voulaient rouler avec moi, et de là s’est organisée la première sortie », poursuit-elle. Au fil des rencontres, le groupe se consolide, et naissent alors les Girls on Wheelsh, en référence au plat fromager typique du Nord de la France, le welsh. Bon, vous pouvez le tenter avant une sortie vélo, mais vous risquez d’être considérablement ralenti·e par un estomac lééééégèrement plein…
Pour ce qui est de la non-mixité choisie, Amandine explique la genèse de ce choix, appliqué à certaines des sorties proposées par les Lilloises. « On s’est dit qu’il y avait un truc sympa à faire en non-mixité choisie, on voulait proposer quelque chose qui n’existait pas à Lille, pour rouler en toute bienveillance », se souvient la cycliste. Pour celles et ceux qui se demandent ce que ça change, concrètement, de rouler sans hommes cis (ndlr : les personnes “cisgenres” sont celles dont le genre attribué à la naissance correspond au genre par lequel elles se définissent), la réponse est finalement assez claire du côté des trois Girls on Wheelsh. « Moins de compétitivité, moins de questions à se poser… », avance notamment Lucie. « C’est le vélo ‘aventure et plaisir’, plus que la compétition », explique pour sa part Aurélie. Pour le reste, on en parle plus bas, avec moult exemples.
« Mais qu’est-ce que c’est, la non-mixité choisie ? » Allez, c’est parti pour un petit point de pédagogie !
À cette question toute naturelle, je répondrais qu’il s’agit là de n’ouvrir un événement ou un lieu privé qu’à une ou plusieurs catégorie(s) de la population (ici, aux femmes et aux personnes trans), dans une logique de bienveillance et de pédagogie.
Souvent employée dans les milieux militants, la non-mixité choisie permet d’ouvrir la parole sur des problématiques de société vécues par les seul·es participant·es dudit évènement. Le but ? Ouvrir un accès à une discipline ou à un savoir, là où, en mixité, cet accès est rendu plus compliqué. Dans le monde du cyclisme plus spécifiquement, par la présence actuellement majoritaire des hommes cis, l’accès au savoir technique peut être difficile pour les femmes et minorités de genre, faute de représentation et d’espace disponible pour celles-ci.
« Personne n’est né sur un vélo et on est beaucoup à avoir commencé le vélo sur le tard, avec des profils très différents », souligne Aurélie, « le but, c’est de trouver ce qui vous fait plaisir, parce qu’il existe plein de façons de faire du vélo ». Parmi celles-ci, rouler en non-mixité choisie se trouve être une option bénéfique aux femmes et minorités de genre qui peineraient à trouver leur place dans le monde encore très masculin du cyclisme.
« Un exemple vaut mille mots », dira-t-on. Lors d’une sortie entre GOWsh, les cyclistes ont parfois surpris les hommes qui les croisent, et suscitent régulièrement des réactions qui les confortent dans leur logique. « Un jour, un homme a absolument voulu nous accompagner sur l’une de nos sorties, parce que ‘attention, sur telle section, ça monte fort’, comme si nous n’étions pas au courant, et on a dû vraiment insister lourdement pour qu’il nous laisse rouler tranquillement entre femmes », se souvient Amandine. « Certains ont du mal à comprendre notre souhait de rouler entre femmes et minorités de genre, et se positionnent parfois en ‘sauveurs’ vis-à-vis de nous, alors même que certaines d’entre nous performent sur des courses impressionnantes », ajoute Aurélie.
Pour booster sa confiance en soi, en apprendre davantage sur le vélo dans un cadre plus restreint et gagner en représentation, le vélo en non-mixité choisie revêt ainsi bien des avantages aux yeux des GOWsh.
Chez les Girls on Wheelsh, la performance, c’est ce que vous en faites. « Pour certaines, faire 20 km, c’est un sacré palier de franchi qui se fête tout autant que les premiers 160 km d’une autre personne du groupe », explique ainsi Amandine. En gros, on se tire vers le haut et non dans les pattes, et on célèbre les victoires des un·es comme des autres, peu importe le niveau.
« On nous dit souvent ‘je n’y arriverai pas, je vais vous ralentir’ ou encore ‘mais je ne suis pas cycliste, moi’ », relate Aurélie, « nous, on se dit plutôt que si tu es sur un vélo et que tu pédales, c’est que tu es cycliste ». À partir de là, chacun·e évolue à son rythme ! « On se pousse à se dépasser, à s’inscrire à des évènements où on ne serait pas allée toute seule et en même temps, on progresse plus puisqu’on se tire vers le haut en toute bienveillance », souligne Aurélie.
Course à la performance ou au matériel le plus pointu, chez les hommes, nos trois cyclistes ont noté des comportements récurrents qui ne leur conviennent pas toujours. Ces comportements, elles les retrouvent parfois lors de leurs sorties en bande, mais y font face avec plus de facilité, tou·tes ensemble. « On a fait une sortie pour le carnaval de Dunkerque il y a quelques semaines, et dans le train de retour, un homme nous a fait remarquer que nos vélos n’étaient pas de ‘bons’ vélos », se souvient Aurélie, « on a dû lui expliquer que ce n’était pas notre logique, mais on a senti qu’il n’était pas très réceptif ».
Même si cela ne fonctionne pas toujours, le fait de partager une logique de sport-plaisir au sein du cyclisme aide à apaiser l’esprit de celles et ceux qui perçoivent encore cette discipline comme élitiste. Le vélo en non-mixité choisie est un des moyens mis en place pour ouvrir celle-ci aux femmes et minorités de genre qui n’osent pas se lancer, ou cherchent un espace bienveillant pour progresser dans leur pratique.
« Pour la mécanique, sans hommes cis, on apprend plus vite », souligne Lucie, « parce que quand un homme est présent dans le groupe, il va spontanément vouloir réparer les crevaisons ou autres problèmes mécaniques ». De fait, en non-mixité choisie, les femmes et minorités de genre parviennent davantage à tirer un véritable apprentissage de leurs sorties et à mettre en pratique les gestes techniques appris.
Dans le monde du cyclisme, les femmes et minorités de genre subissent encore pour beaucoup le syndrome de l’imposture. Si, si, souvenez-vous, c’est cette petite voix dans votre tête qui vous dit que vous n’êtes pas à la hauteur, que vous n’avez pas les bons outils et/ou qu’on va vous prendre pour une quiche. Eh bien, à vélo aussi, on le subit, ce satané syndrome.
Alors, pour l’envoyer valser dans le fossé et rouler en toute liberté, les Girls on Wheelsh ont décidé de miser sur la non-mixité choisie. « On cherche à être inclusives, à offrir un espace où la bienveillance a toute sa place, et où les femmes et les personnes trans peuvent se sentir à l’aise », explique Amandine.
C’est dans ce cadre également que la performance et la fierté qui en découle viennent alimenter une logique d’empowerment au sein du groupe de cyclistes. « J’ai commencé le vélo il y a deux ans, et même pas un an après, j’ai fait le 70 km du Paris-Roubaix Challenge, le J-1 du Tour de France… Tout est possible, tant que tu pédales ! », explique ainsi Amandine.
La représentation des cyclistes féminines sur les routes a un impact fort dans l’imaginaire collectif. Cela normalise l’existence de femmes cyclistes et peut faire germer des passions sportives dans l’esprit des plus jeunes.
C’est en voyant des femmes rouler qu’on peut s’identifier à celles-ci, et avoir envie à notre tour d’arpenter les routes sur un petit bolide mécanique (ou à assistance électrique, à chacun·e sa monture). Pour vous donner un exemple très concret, quelques heures seulement après cette interview, je me suis inscrite au 70 km de Paris-Roubaix Challenge, parce qu’Amandine, Lucie et Aurélie m’en ont présenté une facette que je ne connaissais pas : elles l’ont fait, elles en sont fières, et m’ont donné les clés techniques et psychologiques pour qu’à mon tour, je puisse me sentir capable de briller sur les pavés.
Alors, si vous hésitiez jusque-là à vous lancer dans l’aventure du cyclisme, sachez qu’il existe probablement autour de vous des femmes qui, comme Aurélie, Amandine et Lucie, ouvrent cette discipline au plus grand nombre. À chacun·e ses Girls on Wheelsh !