À la salle de sport, la tentation du petit selfie en fin de séance est grande. Pour immortaliser les efforts fournis ou chercher à propager sa motivation sur les réseaux, le selfie sportif revêt de nombreuses fonctions !
Qui aurait cru qu’un si petit geste pouvait réveiller tant de passions dans le milieu sportif (et au-delà) ? Sur le selfie, les préjugés perdurent et suscitent régulièrement le débat. Peut-on et faut-il s’aimer sans s’immortaliser ?
“Je le fais quand ça a été dur de se motiver et que je veux crier au monde entier ‘regarde, j’ai botté le cul à ma flemme’, j’avoue”, explique cette internaute sur Twitter. Comme un aveu, les commentaires au début timides finissent par pleuvoir sous mon appel à témoignages, posté sur Twitter, et dans mes messages privés. L’un m’explique que ça lui fait du bien de marquer sa motivation sportive du moment, quand l’autre me scande à quel point cette manie l’agace. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le sujet divise !
Visiblement, les selfies sportifs ont encore la vie dure. Pourtant, le but initial du selfie est tout de même l’appréciation de soi, le self-love, la fierté. Autant de points qui aident à mettre du baume au cœur et un coup de boost au moral. Malgré ces points positifs soulevés, pour certain·es, le selfie, c'est non, niet, no. “Ça n’a aucun intérêt”, explique ainsi un internaute sur le réseau à l’oiseau bleu, “Le principe du selfie, c’est de se mettre en avant dans diverses situations. Il permet de montrer aux autres ce que l’on fait sans que ça intéresse grand monde”. Ah.
Si le propos peut sembler dur de prime abord, c’est peut-être que l’on prend le problème à l’envers. Factuellement, tout ce que l’on poste sur les réseaux sociaux n’intéresse pas l’entièreté des internautes. Mais est-ce vraiment grave ? En fait, non, puisque le selfie sportif n’a pas forcément ou uniquement vocation à plaire, mais bien principalement à se motiver soi-même, en témoignent celles et ceux qui le pratiquent.
Selon une étude réalisée par l’Ifop pour Cewe en 2018, on ne se prend pas forcément en photo par simple vanité, mais plutôt pour créer des ponts sociaux entre soi et autrui.
“L’objectif du selfie consiste avant tout à créer ou entretenir du lien plutôt qu’à se valoriser personnellement”, peut-on lire dans les conclusions de l’étude en question. Pour près 71% des répondant·es, le premier objectif du selfie est “d’immortaliser un bon moment avec ses proches”. En seconde place, on trouve le fait de partager ou annoncer un moment de vie important, pour 18% des répondant·es. “Loin de l’image d’un outil de représentation narcissique du soi, le selfie est donc surtout vu à titre personnel comme un agrégateur social”, précise-t-on dans l’étude, “Ainsi, l’objectif de mise en avant de sa propre image (8%), ou la création du buzz sur les réseaux sociaux (3%) ne sont que très peu recherchés”.
De quoi faire mentir celles et ceux qui pensaient jusqu’alors y voir une preuve de narcissisme ? Il semblerait bien que oui !
La société SportShoes a mené sa petite étude sur le sujet, en recensant le nombre de publications sous les hashtags #gymselfie, #gym[ville] et #[ville]gym, et le résultat est sans appel : en 2021, avec 5.553 hashtags pour 338.620 habitants, Nice prend largement la tête de ce classement.
“C’est du self-love, et quelque part, c’est pour graver dans le marbre numérique qu’on a réussi à faire sa séance de sport et qu’on en est fier·e”, souligne Katherine. Franchement, je ne peux qu’approuver. Le jour où j’ai enfin réussi à soulever 150 kg en hip thrust, croyez-moi que tout internet a été mis au courant. Pas tant pour jouer de mes gros cuissots musclés, mais plutôt pour que mon cerveau se rappelle ce moment comme une véritable réussite sportive, d’un moment où je me suis aimée et admirée sincèrement. J’ai plaisir à retomber sur cette photo dans mon feed Instagram, parce que je connais le travail en amont pour parvenir à ce résultat : moi, sous la barre de hip thrust, la tronche rouge d’effort, les doigts en V de la victoire, sur un selfie ridicule pour tout observateur·ice extérieur·e, mais tellement symbolique à mes yeux. Ce selfie, c’est un peu mon trophée, le boss intermédiaire avant d’affronter le prochain objectif sportif.
Bon, d’accord, il y a bien d’autres leviers pour se motiver sur le plan sportif, mais à chacun·e ses préférences. Pour certain·es, le selfie est un véritable moyen de suivre ses progrès, les évolutions de son corps au fil des séances, de marquer sa satisfaction en fin de session… Bref, le selfie contribue à booster la motivation, et permet donc à celles et ceux qui le pratiquent de continuer sur leur chouette lancée sportive !
En Nouvelle-Zélande, la salle de sport Anytime Fitness a même créé un espace dédié au selfie, où tout est pensé pour obtenir le cliché parfait : lumières avantageuses, grands miroirs… Ajoutez-y votre personne, et le tour est joué !
Tout dépend ce que vous en attendez. Si vous cherchez simplement à dire “j’ai fait ça et j’en suis fier·e” en ayant parfaitement conscience que vous vous adressez à un journal intime lu par des dizaines, centaines ou milliers de personnes, vous ne risquez finalement pas grand-chose. “Si vous le faites pour vous-même, pourquoi le publier sur les réseaux sociaux ?”, vous demandez-vous peut-être. Bonne question ! Au même titre que le cliché de votre repas, de votre chien ou de votre dernier voyage n’intéressera pas tout le monde, mais fera réagir positivement une partie de votre audience, certaines personnes sont plus sensibles que d’autres au sport, et donc à ce que vous partagez au travers de ce selfie sportif. Ainsi, voir ce selfie sur Instagram, Twitter ou tout autre réseau, aura tendance à motiver une personne quand cela en agacera une autre. É qué s’appelerio : les goûts et les couleurs.
De fait, si vous cherchez à obtenir la validation de votre audience, vous risquez fort de vous heurter à la déception : votre selfie fera difficilement l’unanimité, et notre cerveau ayant tendance à se focaliser davantage sur le négatif, vous pourriez vous plomber le moral plus qu’autre chose. Attention donc à préserver votre sensibilité avant toute chose, et à poser vos limites : si vous êtes sensible face aux critiques, Il vaut mieux peut-être partager vos selfies à votre entourage proche seulement, ou vous tenir prêt·e à prendre les mesures nécessaires en cas de cyberharcèlement.
On ne dit pas que si vous le faites en public, et que vous recevez un tombereau d’insultes, ce sera votre faute, loin (trèèèèès loin) de là. Ce que l’on dit, c’est que de l’autre côté de votre écran, tout le monde ne réagit pas positivement à vos réussites sportives désormais immortalisées, et que vous comptez bien plus que toute l’aigreur d’internet (et Dieu sait que ça représente un sacré truc). Connaître cette réalité, c’est déjà commencer à s’y préparer et à s’en protéger.
Le selfie n’a pas la cote, alors même qu’il semble pratiqué par de nombreuses personnes. Mais alors, pourquoi a-t-on autant de mal à accepter de voir autrui apprécier ses propres exploits sportifs (ou non) ? “Je crois que pour moi, c’est le fait de voir ce selfie, biceps saillants, alors que je suis dans mon canapé, et que c’est le dixième jour d’affilée où je n’arrive pas à aller à la salle faute de motivation”, explique Benoît, “Ouais, quelque part, c’est de la jalousie”.
Plus globalement, face aux injonctions perpétuelles de la société à rentrer dans une norme imposée de beauté bien souvent inatteignable, l’agacement face à celles et ceux qui parviennent à s’en émanciper ou à s’en rapprocher se veut grandissant.
Plus encore, si chacun·e est libre de publier ses exploits sportifs sur les réseaux sociaux, tout le monde ne reçoit pas les mêmes retours. En effet, que vous soyez un homme, une femme ou une minorité de genre, mince ou en surpoids, avec ou sans handicap visible, blanc·he ou non, vous ne recevrez pas les mêmes commentaires. Certains seront bien plus virulents que d’autres. En cause ? La “norme”, toujours la “norme”. “Quand on ne rentre pas dans ces ‘normes’ imposées, mais que l’on est tout de même fier·e de nous, on reçoit d’autant plus de réactions négatives, comme si on avait tout simplement pas le droit ni de s’aimer, ni de le revendiquer”, explique Fatma, sportive de 35 ans, “C’est fatigant, parce que moi aussi, j’ai envie de dire aux gens que j’ai atteint tel ou tel objectif sportif, alors même qu’on ne m’en croyait pas capable du fait de mon poids”.
La fierté est inhérente aux objectifs que l’on se donne et aux moyens que l’on déploie pour les atteindre, alors pourquoi s’en priver ? Dans les vestiaires, votre journal intime ou sur les réseaux sociaux, soyons fier·es et motivant·es !
“Je trouve ça cool pour l’estime de soi, le boost, le sentiment de progression, et en même temps, je constate que ça participe à la propagation de photos de corps hyper affutés sur les réseaux sociaux, et donc à une normalisation d’un type de physique très sportif”, souligne Garry sur Twitter. Et ce n’est pas faux, en témoignent les selfies partagés par ces influenceur·euses aux corps dits normés : fesses galbées, taille fine, abdos saillants… Niveau diversité des corps, ce n’est pas encore ça. Sauf si vous décidez à votre tour de jouer avec l’algorithme d’Instagram, en vous abonnant à des comptes qui vous montrent cette fameuse réalité, bien plus diverse ! De Gaëlle Prudencio à Juliette Katz, aka Coucou Les Girls, en passant par Laëtitia Reboulleau, interviewée dans notre article sur le mouvement body positive et la perte de poids, Instagram regorge de représentations corporelles diverses et variées.
“À quoi ça sert ?” À entrainer votre œil et votre cerveau pour que ceux-ci s’habituent à voir d’autres corps que ceux des magazines, des films ou des publicités. De fait, vous envoyez le message à votre cerveau que la minceur, la blancheur, le grain de peau lissé et les images photoshopées ne sont pas gages de beauté, et qu’il existe autant de corps que de personnes qui les arborent.
Pour en produire soi-même :
• Attention à ne pas inclure d’autres personnes non consentantes dans votre autoportrait.
• On ne gêne pas la pratique des autres sportif·ves autour de soi.
• Veillez à ne pas faire reposer votre pratique uniquement sur votre image : votre corps gagne en force, en endurance, en souplesse… Autant de choses qui ne se voient pas forcément sur un selfie.
• Faites-vous plaisir avant tout !
Pour apprécier ceux d’autrui sans entacher votre estime personnelle :
• Ayez conscience de la réalité derrière les selfies que vous voyez sur les réseaux sociaux : la lumière et la pose sont pensées pour mettre en valeur ce que l’influenceur.euse souhaite mettre en avant.
• Si vous êtes tenté·e de laisser un commentaire négatif et incisif sous un selfie : retenez-vous.
Ainsi, la prochaine fois que vous voyez un·e camarade de salle lever le bras pour un selfie, observez ce moment comme un témoignage d’amour de soi, non comme une démonstration de narcissisme. À chacun·e sa façon d’exprimer celui-ci :)