Une femme qui fait du sport

Vouloir perdre du poids, c’est trahir le mouvement body positive ?

Si vouloir perdre du poids relève a priori d’un choix personnel, se poser les bonnes questions avant de s’engager dans ce processus peut vous valoir quelques petites surprises. 

Promis, on ne va pas vous voler votre salade healthy, ce n’est pas dans le plan de lutte contre la grossophobie, ni dans la charte du mouvement body positive. Non, sur le principe, vouloir perdre du poids ne fait pas de vous un·e traitre à la cause body positive, sous certaines conditions finalement très logiques, quand on prend le temps d’y penser sérieusement. Et ça tombe bien, Laetitia Reboulleau, journaliste et autrice de Mise à nue et Journal de bord d’une grosse, nous donne toutes les clefs pour comprendre ce mouvement !

D’où vient le mouvement body positive ?

Revenons un peu en arrière : et la lumière fut. Non, je rigole, j’adore l’humour, ah ah. En vérité, si le mouvement body positive trouve ses origines en 1969 lorsque Bill Fabrey, un Américain, décide de protester contre la façon dont est traitée sa femme en surpoids, Joyce, la dénonciation de la grossophobie remonte, elle, à bien plus loin encore. Si l’on mentionne la rébellion de Bill Fabrey comme point de départ du mouvement body positive, c’est parce qu’il a initié le premier collectif officiel contre cette discrimination, alors intitulé National Association to Aid Fat Americans et aujourd’hui désigné par l’acronyme NAAFA (National Association to Advance Fat Acceptance). Par la suite, des femmes, en majorité noires et grosses, ont contribué à faire grandir ce mouvement jusqu’à lui donner la portée qu’il a aujourd’hui (et on les en remercie mille fois).  

Le mouvement body-posi de son petit nom est donc “un mouvement créé par des personnes grosses, non dans une optique de promotion de l’obésité comme semblent le croire certaines personnes, mais pour rappeler que quelle que soit l’apparence d’un corps, tout le monde mérite le même respect : de la part du public, de nos proches, du corps médical…”, détaille Laetitia Reboulleau.

Le mouvement body positive s’est petit à petit ouvert pour accueillir toujours avec bienveillance les voix des personnes handicapées, aux problèmes cutanés visibles,  ou encore transgenres, au passing (ndlr : apparence physique et capacité à rentrer dans les normes dites féminines ou masculines) sortant des normes genrées de notre chère société.

Une personne soulevant une balle lestée
Une personne soulevant une balle lestée

On peut dire “gros·se” ?

Oui et non, et la réponse dépendra de la personne à qui vous poserez cette question. Ici, Laetitia Reboulleau choisit d’employer ce qualificatif et elle n’est pas la seule à le faire, loin de là. Au sein du mouvement body positive, de nombreuses voix s’élèvent en faveur de la réappropriation de ce terme, encore trop souvent utilisé comme insulte plutôt que pour ce qu’il est à l’origine : un adjectif qualificatif et descriptif physique à la même valeur que ses pendants mince, maigre, élancé·e, ou encore trapu·e.

C’est quoi, un corps “normé” ? 

En somme, c’est un corps qui rentre dans les critères de beauté de base imposés par la société via les magazines féminins, les films à la télévision, les publicités dans la rue, les influenceur·euses sur les réseaux sociaux… Grossièrement, on l’associe à une taille 36, mais cela va bien au-delà. La femme normée fait ainsi entre un 34 et un 40, est blanche de peau -sans aucune "imperfection" sur celle-ci-, et n’a aucun handicap, en tout cas visible. En rentrant dans ce cadre, elle ne subit alors ni grossophobie, ni racisme, ni validisme (ndlr : discrimination au handicap) concernant son physique.

Si, en plus, cette femme arbore également des traits harmonieux, on parle même de “pretty privilege” (ndlr : privilège de beauté en français) : les privilèges et avantages dans la vie dont jouissent les personnes jugées belles (selon quels critères et surtout selon qui ? On se le demande).

Qu’on se le dise : aucune norme ni aucun critère de beauté ne devrait vous enlever le droit à vous aimer tel·le que vous êtes. Un corps “normé”, c’est juste un corps qui répond à des critères subjectifs de beauté : il n’est ni plus beau, ni moins beau qu’un autre. 

Body positive or not body positive : quand les corps normés s’approprient le mouvement

Ça veut dire que si je suis mince, je n’ai pas le droit d’être body positive ?” C’est en réalité moins une question de droit que de légitimité à prendre la parole sur des discriminations. Depuis que le mouvement a trouvé une nouvelle plateforme d’expression via Instagram et TikTok, il se trouve en proie à un dilemme : les corps dits normés ont-ils leur place dans le mouvement ?

On parle ici de discriminations multiples : discrimination à l’embauche, aux loisirs, à l’habillement”, illustre Laetitia Reboulleau. De fait, si vous ne faites pas face à ces discriminations au poids, à la couleur de peau ou au handicap, rien ne vous empêche cependant de soutenir les voix de ce mouvement. En revanche, vous en revendiquer en tant que personne concernée par ces discriminations n’aurait, avouons-le, que peu de sens.

Mais alors, dès lors que l’on souhaite perdre du poids, perd-on de facto notre droit d’expression au sein du mouvement body positive ?

Perte de poids et mouvement body positive : une histoire de désamour ? 

Non, vouloir perdre du poids ne fait pas de vous des traitres à la cause body positive, et le GIGN ne débarquera pas dans votre cuisine pour saccager votre salade de fruits.

Je pense qu’il faut d’abord se poser la question : ‘Pourquoi est-ce que je veux perdre du poids ?’”, souligne Laetitia Reboulleau, “Est-ce pour des raisons de santé, ou pour une autre raison en réalité ?” En demandant à des personnes concernées, on se rend bien vite compte qu’il ne s’agit pas uniquement de santé, mais bien de place dans la société. “Quand on creuse, on nous répond que c’est aussi pour ne plus avoir de difficulté à trouver sa taille de vêtement en magasin, pour ne plus se sentir serré.e sur une chaise, ou pour ne plus subir le poids du regard d’autrui”, souligne l’experte. Au-delà de la santé, c’est peut-être aussi pour se débarrasser de la charge mentale pesant sur les personnes en surpoids que nombre d’entre elles cherchent à perdre du poids.

Globalement, c’est à toutes les strates de la société de faire l’effort de changer de regard sur la diversité des corps. “La grossophobie est encore fort présente dans tous les milieux. Tout est fait pour empêcher les personnes grosses de s’épanouir”, souligne Laetitia Reboulleau, “On pense encore que l’humiliation est le meilleur déclic pour pousser quelqu’un à maigrir, et ça n’avancera pas tant que le discours médical ne changera pas, et ne rappellera pas que les régimes express et à répétition n’ont rien de sain”. À la télévision, on se rappelle ainsi d’émissions centrées sur la perte de poids, en France comme ailleurs. "'The biggest loser' aux États-Unis met ainsi au défi des personnes obèses à perdre 10% de leur masse corporelle en un mois, ce qui est extrêmement dangereux pour le corps, en plus d’être contre-productif”, explique l’experte, “En France, cela n’avancera pas tant que les magazines féminins garderont les fesses entre deux chaises comme ils le font actuellement : sur la même couverture, tu peux avoir le nouveau régime en vogue, et à côté une interview de star body-positive…” Pas facile de s’y retrouver, en effet !

Je ne pars pas du principe que les personnes qui souhaitent perdre du poids trahissent le mouvement body positive”, explique Laetitia Reboulleau, “En revanche, il faut se rappeler que si tu opères une perte de poids, c’est que tu n’acceptes pas ton corps tel qu’il est”. Aucune obligation ici à s’aimer, puisque le mouvement body positive s’oppose aux injonctions, mais bien une invitation à repenser la façon dont cette perte de poids va être présentée aux proches et sur les réseaux sociaux. “Je n’ai rien contre les personnes qui font des régimes, en revanche, j’ai un problème avec les personnes qui affichent des photos avant/après en mode ‘regardez comme je suis plus belle, épanouie, heureuse’”, détaille la journaliste, “Ça sert d’argument aux personnes grossophobes qui nous disent à nous, personnes concernées : ‘regarde, elle dit qu’elle était malheureuse quand elle était grosse, donc toi, tu ne peux pas te sentir bien dans ton corps, tu mens’”.

Si tu te sens si bien dans ton corps après une perte de poids, pourquoi as-tu besoin de comparer publiquement ce corps à ton physique précédent ?”, questionne ensuite Laetitia.

Avant/après : en finir avec la compétition des corps 

C’est une question d’utilité et de sensibilisation plus que de liberté d’expression : après une perte de poids (si vous décidez de vous lancer dans ce processus), oui, vous pourrez toujours apporter votre soutien au mouvement body positive, mais vous revendiquer de ce mouvement (et donc par là même en tant que victime de grossophobie) perdra de son sens. Plus encore, poster des photos “avant/après perte de poids” ne fera que desservir une cause initialement au service du respect et de l’amour de soi.

Qui plus est, voir le sport et les régimes comme seuls vecteurs de minceur, c’est également sous-entendre que quiconque est gros.se n’a donc jamais fait l’effort de faire attention au contenu de son assiette ou de s’activer à la salle (ou ailleurs). “Les personnes grosses ont la réputation de ne pas faire de sport, mais c’est aussi parce que la plupart des sports n’ont pas l’air d’être adaptés pour elles, et elles n’ont pas d’exemple de personnes qui en font de façon adaptée à leur corps”, souligne Laetitia Reboulleau. D’où l’importance de varier les représentations autant que possible. Depuis quelque temps, c’est d’ailleurs une pratique qui tend à se propager, et fait émerger des bonnes pratiques jusque dans le sport, en faveur de l’inclusivité. “On trouve de plus en plus de coachs sportifs qui prennent soin de proposer des programmes adaptés aux personnes à différentes corpulences, je pense notamment à la pole dance”, illustre ainsi Laetitia Reboulleau, “Tous les sports peuvent être adaptés à tous les physiques, il faut simplement savoir comment le faire pour ne pas se blesser.

De fait, un corps normé n’est pas forcément un corps plus sain, tout comme un corps en surpoids n’est pas automatiquement un corps en souffrance médicale. L’un et l’autre ne sont pas comparables et n’ont donc finalement pas grand-chose à faire côte à côte sur une photo avant/après.

Qui plus est, la minceur ne garantit en rien que la société vous foute vraiment la paix pour le reste de votre vie. Non non non… “La société aura toujours quelque chose à reprocher aux corps, c’est pour ça qu’il faut se poser les bonnes questions avant d’opérer un changement physique”, poursuit Laetitia Reboulleau. Croisons ensemble les doigts (même ceux des pieds) pour que les choses changent. En tout cas, c’est la vocation de ce mouvement ! 

Perte de poids : les bonnes questions à se poser avant de se lancer (ou pas)

1. Pour quelle raison est-ce que je souhaite perdre du poids ? 

Est-ce par contrainte sociale ? Pour des raisons de santé ou bien-être avérées ? Déterminez le point de départ de la relation conflictuelle que vous entretenez avec votre corps. Plus facile à dire qu’à faire, je sais bien, et je ne peux que trop vous conseiller de vous tourner vers le ou la professionnel.le de santé adapté.e à vos besoins (psychologue, psychiatre, médecin traitant, diététicien.ne-nutritionniste… le choix est vaste) pour clarifier ce point. 

2. Ai-je des problèmes de santé directement liés à mon poids ? 

Oui, parfois, avec le surpoids viennent certains problèmes de santé. Ce n’est pas systématique, mais ça arrive. De fait, si votre volonté de perdre du poids est motivée par des questions de santé, ce chemin doit se faire de manière encadrée. Parce que oui, un régime express et/ou hypocalorique vous apportera peut-être les résultats attendus, mais pourra également heurter votre santé (et votre poids de forme, on vous en parle ici). Grandes promesses, gros dégâts : méfiez-vous, et suivez plutôt les conseils de professionnel.les de santé en la matière. 

3. Est-ce que je subis une pression de mon entourage ? 

Si, si, pensez repas de famille et petites remarques acerbes. “Bah dis donc, on a bien profité des fêtes ici” avec un petit regard sur votre ventre, “t’as perdu du poids, ça te va bien mieux”, “tu te laisses un peu aller en ce moment, je trouve”, “tu vas vraiment te resservir ?”. Toutes ces phrases empreintes de grossophobie ne devraient pas trouver leur place -à table comme ailleurs-, et ont une influence sur le regard que vous portez sur votre corps. Cette pression orchestrée à votre encontre peut vous pousser in fine à vous tourner vers un régime potentiellement néfaste pour votre santé.  

4. Je n’arrive pas à m’aimer : c’est grave, docteur ? 

Non. Encore une fois, il n’y a pas d’injonction ici à s’aimer absolument. Seulement voilà, le désamour de soi, de son corps, reflète quelque chose qu’il faudrait peut-être creuser au moyen d’une thérapie. Ne pas s’aimer, c’est aussi mettre en péril sa santé mentale, sa confiance en soi, et sa capacité à trouver sa place en société, sa voix dans la foule. Ça peut paraitre mélodramatique, dit comme ça, mais promis, apprendre à s’aimer enlève un sacré poids mental. Et si vraiment, la seule solution qui vous apparait efficace pour vous aimer est la perte de poids, attention alors au processus pour lequel vous opterez. Faites-vous accompagner par un·e professionnel·le de santé dans votre parcours, et fuyez les régimes hypocaloriques express. 

Changer de regard : les influenceur·euses body positive à suivre sur Instagram 

Gaëlle Prudencio aka @Gaelleprudencio : bloggeuse, créatrice de contenu
David Venkatapen aka @Davidvenkatapen : mannequin
Lafillequiadestaches aka @Lafillequiadestaches : bloggeuse, créatrice de contenu
Winnie Harlow aka @WinnieHarlow : mannequin
Céleste Barber aka @Celestebarber : humoriste et comédienne
Nelia Keciri aka @Neliakeciri: créatrice de contenu
Lizzo aka @Lizzobeeating : chanteuse
Chiadera Eggerue, aka @TheSlumflower 

En bref, se lancer dans une perte de poids peut parfaitement relever d’un choix personnel qui n’entre aucunement en contradiction avec les valeurs du mouvement body positive, mais attention à ne pas entamer ce processus sous la pression d’un entourage grossophobe. S’aimer soi n’est déjà pas chose aisée, réussir cet exploit dans un environnement qui vous rejette sans cesse l’est d’autant plus. Et si, en 2023, on prenait enfin la résolution de ne plus commenter le corps d’autrui, et celle d’être plus doux·ce avec le nôtre ? 

l'autrice de l'article en photo

Val

Journaliste - rédactrice web

Journaliste société, passionnée de réseaux sociaux (la Twitter fever, tu connais) et de sport. À mes heures perdues, on me retrouve sur une barre de pole dance ou sous la barre de hip thrust, ça dépend des jours.

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