Loisir dérivé du surf, pratique subversive voire underground puis consacrée aux Jeux olympiques... Oui, le skateboard est un sport très riche !
Au fil de son histoire, le skateboard a été catégorisé comme un loisir dérivé du surf puis comme une pratique subversive et underground avant de rejoindre le panthéon des sports olympiques. Mais l’esprit frondeur, enthousiaste et créatif qui l’a vu éclore résiste au temps et n’a pas fini d’alimenter la riche production artistique de ce qu’est désormais la « culture skate ».
Le bien nommé skatepark « Colorama » niché dans la Condition publique de Roubaix et l’exposition « European Custom Board Show » associée en témoignent. Le skate et l’art partagent beaucoup de choses. Non pratiquant, le designer anglo-nigérian Yinka Ilori, architecte de ce Colorama voit dans le skateboard « une forme d’art, une véritable performance. Vous effectuez des figures, dansez en glissant… c’est comme une sorte de ballet. »
C’est comme ça, dès que l’on monte sur une planche de skate pour rider, on affiche une allure, un style. Shogo Kubo, l’un des pionniers du skateboard dans les années 1960 l’affirmait sans détour : « le style, c’est tout ». Sur la planche, développer son style constitue l’un des enjeux majeurs. La créativité associée à l’entraînement et la persévérance y sont exigés pour maîtriser les techniques et « rentrer » des figures. Une dynamique qui n’est pas directement branchée à la performance sportive où des règles précises encadrent la pratique et la qualifient en termes de résultats chiffrés. Dans son essence, le skateboard se rapproche bien plus d’un moyen d’expression.
On crée des mouvements non codés, non encadrés, qui ne se laissent pas consigner dans un tableau de valeurs.
La performance, s’il faut en avancer une, est tout artistique, l’œuvre se fait au gré de la progression de la planche et de son·a protagoniste. Un kick flip visionné
en slow motion est une merveille de grâce et de précision. Pour parvenir à cela, il faut suer, tomber, se relever, recommencer, s’accrocher encore et encore jusqu’à ce que le trick rentre. Ce qui est visé ? Un idéal esthétique qui demande engagement physique et adhésion spirituelle. Un sport fun, en bref, mais dont la culture est si riche et protéiforme qu’elle marque profondément le mode de vie de ses pratiquant·e·s. L’art du mouvement qu’entraîne le skateboard est une manière d’être créatif et de cultiver sa propre identité,
On skate pour le fun donc, pour prendre du plaisir, améliorer sa technique et partager tout cela avec des personnes qui aiment ça – l’amitié, le collectif y sont des valeurs essentielles. Dans cet esprit-là, la culture du skateboard se développe dans les années 1980, à l’époque où le sport se détache du surf et de son industrie dont il est issu depuis la fin des années 1950. Ce sont les débuts du « street », c’est-à-dire de l’usage de la ville et de son mobilier urbain comme espace de pratique. Les plans inclinés, les courbes, les arêtes de bancs, les rambardes d’escalier, les murets, les sculptures, les trottoirs, les canalisations, les toits, tout ce qui compose l’espace public de la ville devient, dans l’esprit et l’œil du skateur, un module à franchir, ou sur lequel il peut poser, racler, claquer ou faire glisser sa planche.
L’utilisation de l’environnement urbain direct ouvre une infinité de possibilités de skater, l’usage de la ville est détourné et réinterprété par les skateur·se·s, si bien qu’elle devient un espace répondant à une demande de sensations et de liberté. L’aspect social est également présent, puisque l’espace public est partagé avec les usagers de la ville, les skateur·se·s composent avec les piéton·ne·s, les cyclistes et les automobilistes.
Le skateboard ne peut se cantonner à des espaces réservés pour sa pratique. Son inventivité se nourrit de son intégration à la rue, de ses interactions sociales et physiques avec l’ensemble composite et dynamique que constitue une ville. La street culture participe aujourd’hui à l’évolution des villes et redéfinit les liens qu’elles tissent avec des pratiques culturelles et urbaines telles que le skateboard.
Ce renouveau du skate commence en 1975 en Californie, durant un été particulièrement sec où les propriétaires de piscines sont contraints de les vider. À Los Angeles, dans le quartier de Dogtown, des ados en profitent pour tester des nouvelles planches à roulettes dans les piscines vides, inventant au passage le vert, le skate sur des plans verticaux, et une cascade de nouvelles figures. Les documentaires Dogtown and Z-Boys (Stacy Peralta - 2001) et Les Seigneurs de Dogtown (Catherine Hardwicke – 2005) retracent le parcours de ces skateurs qui forment l’équipe des Z-Boys (Zephir Competition Skateboarding Team). Elle était composée des pionniers du skateboard moderne tels que Tony Alva, Jay Adams, Paul Constantineau ou encore Peggy Oki.
Un peu partout dans le monde, les skateparks reprendront les modèles de ces piscines privées californiennes que l’on appelle les bowls. S’affirmera aussi l’appropriation de l’espace public par les skateurs, ce qui leur vaudra, le plus souvent, une réputation de vandales, et renforcera l’identité de contre-culture qu’ils se forgent face à la répression des autorités. Avec le temps, des collectifs de skateurs se créent pour défendre leur droit d’user de la ville au même titre que les autres habitant·e·s, soulignant les enjeux politiques qui se jouent dans l’aménagement urbain. Ils veulent avoir leur mot à dire sur la manière dont la ville se fait et se vit.
On pense notamment au collectif bruxellois Brusk. Au début des années 2000, ce groupe militant déterrait illégalement d’anciens bowls de skate et organisait des cortèges de journée sans voitures, « à crier et à brandir un drapeau pirate “on veut un skatepark” » détaille Ian Dykmans dans le documentaire Skateboard Stories. En 2003, à l’occasion de la construction du skatepark du square des Ursulines, désormais haut lieu de la culture urbaine à Bruxelles, ils se sont associés à la municipalité pour fonder, assurer le suivi technique du chantier puis la gestion de l’espace dédié au skate.
Aujourd’hui, les villes intègrent de plus en plus dans leur planification urbaine des communautés de skateur·se·s pour réfléchir, choisir et donner les moyens financiers d’aménager des espaces skatables intégrés à l’urbanisme, au-delà des skateparks. Le développement et l’accompagnement de ces projets par et pour les skateur·se·s sont essentiels pour la communauté, cela permet la préservation de l’authenticité de la skate culture. Dans cette veine, en 2019, à Bordeaux, le skateboarder Léo Valls et l’artiste et designer Nicolas Malinowsky ont créé Play ! un parcours d’œuvres et d’installations publiques skatables un peu partout dans la ville. L’idée était d’interroger la cohabitation du skateboard avec les autres usages de la ville et de réfléchir au rôle et à la place du skateboard dans la ville du futur.
Cette idée de modifier l’architecture de la ville pour la rendre plus adaptée à la pratique du skateboard est aussi défendue par le skateur suédois Pontus Alv avec cette fois un esprit do it yourself plus radical quoique très partagé dans la communauté skate. Dans Skateboard Stories toujours, il détaille : « je regarde la ville et je me demande ce que je peux y faire, je peux la skater telle qu’elle est, je peux aussi la remodeler et réparer les spots mal conçus, l’architecte a fait des petites erreurs dans ces plans et ne l’a pas rendu skatable, c’est pourquoi je viens avec des sacs de ciment et du sable et je répare les petites erreurs d’urbanisme. »
Ce type d’intervention au sein de l’espace public rappelle les travaux de l’artiste Raphaël Zarka, qui lors de la biennale d’art contemporain de Bordeaux en 2009, transforma des éléments urbains existants en terrain de jeu, en y greffant des extensions skatables.
Raphaël Zarka, toujours, va jusqu’à interroger la notion d’œuvre d’art dans l’espace public avec son ouvrage Riding Modern Art. On y découvre des sculptures ridées par des skateurs qui, selon les mots du plasticien ne jugent pas – contrairement aux passants, aux critiques d’art ou à l’histoire – ces œuvres selon des critères esthétiques et conceptuels (c’est beau ou c’est intéressant). « Les critères des skateurs sont avant tout mécaniques, précise-t-il, l’intérêt d’une sculpture tient à la variété des mouvements qu’elle suggère. […] Sur des sculptures le plus souvent abstraites et géométriques, d’inspiration cubo-futuriste ou constructiviste, les skateurs rendent effective l’idée de mouvement littéralement mis en œuvre par les artistes. »
En 1981, le premier Thrasher Magazine sort, aujourd’hui toujours actif, il est la bible et une icône de l’histoire du skate avec ses covers mythiques. En 1984, The Bones Brigade Vidéo Show arrive sur les écrans, réalisée par Stacy Peralta et Craig Strcyk. La vidéo influence énormément et contribue à renouveler la pratique du skateboard après quelques années de reflux à la fin des années 1970 et au début des années 1980.