Pourquoi, alors même que l’on peut vivre très bien sans être mince, veut-on tous et toutes perdre du poids ? Comment en est-on arrivé là ?
Que celui ou celle qui n’a pas, un jour, voulu perdre du poids lève la main ! On parie qu’il y a pas mal de mains baissées… (La nôtre l’est, en tout cas). Rien d’exceptionnel à cela. C’est un fait : l’époque aime la minceur. Les canons de beauté qui inondent les réseaux sociaux, les écrans de ciné ou les pages en papier glacé nous le rappellent chaque jour. La norme contemporaine dit qu’un corps « beau » doit être mince… Résultat, la pression est immense, l’injonction contagieuse, et il est difficile de lutter contre. D’ailleurs, nos statistiques maison le confirment : parmi les articles de Conseil sport, ceux qui évoquent la perte de poids cartonnent. De quoi nous interpeller…
Premier enseignement : c’est assez nouveau. La perspective historique montre que la course à la perte de poids est une invention moderne. Longtemps, en effet, être mince n’avait pas vraiment la cote… Ainsi, au Moyen-Âge, être rond•e était perçu comme une très bonne chose : cela signifiait être
en bonne santé et ne manquer de rien. Perdre du poids, à l’inverse, c’était prendre le risque d’être emporté un peu vite par la première épidémie ou famine venues. Cet idéal de la rondeur va perdurer de longs siècles dans les sociétés européennes, y compris en France. Jusqu’au XIXe, plus
exactement.
Et puis est arrivé le XXe siècle, avec son progrès technique, son agriculture industrielle et son abondance alimentaire. D’un coup, avoir un peu de gras en réserve pour passer l’hiver ou surmonter une vilaine grippe est devenu inutile. Les kilos superflus vont donc perdre progressivement de leur intérêt. En France, par exemple, les années 20 et 30 marquent un tournant : la mode exige soudain des femmes qu’elles n’aient plus de formes. Exit les hanches dodues et les seins copieux, la femme moderne doit avoir un corps d’ado freluquet ! C’est la mode « garçonne ». Ce culte de la silhouette filiforme ne va cesser ensuite de s’amplifier, et ce jusqu’à aujourd’hui. En à peine 100 ans, donc, la norme s’est littéralement inversée.
Plus récemment, à partir des années 1970, l’éloge de la minceur va se doubler d’une seconde injonction : la vitalité. Concrètement, la taille de guêpe ne suffit plus. On demande désormais au corps d’être fin ET musclé. En effet, la minceur seule renverrait l’image d’un corps terne et sans vie, faible et vulnérable. La norme évolue donc pour promouvoir un corps qui soit visiblement en forme.
Il devient dès lors impératif de s’entretenir. C’est la montée en puissance des salles de fitness, des coachs, des stages de remise en forme, etc. Objectif : avoir la cuisse galbée et la fesse ferme, la taille fine mais l’ensemble musclé, gainé, tonique.
On l’a dit, les représentations de corps ultra-minces dans la publicité, le cinéma ou les médias sociaux nous donnent envie de maigrir. Mais un autre acteur nous met aussi, plus discrètement, la pression : les professionnels de santé. Les sociologues ont ainsi montré que la volonté généralisée de perdre du poids résulte, aussi, d’une injonction de plus en plus puissante émanant du monde médical et des politiques publiques de santé. La médecine moderne a ainsi fortement pathologisé, voire stigmatisé le surpoids, le rendant coupable de tous les maux, en témoigne les discours ciblant l’obésité et ses effets sur la santé.
Être gros•se, nous dit la santé publique aujourd’hui, c’est vivre une vie de « risques »… : risque de maladies cardiovasculaires, risque de cancers, de diabète, de troubles musculosquelettiques, de contracter des maladies non transmissibles, de décès prématuré, etc. Alors oui, si c'est discours est vrai il doit aussi être, parfois, mesuré, pour ne pas risquer d'erreurs médicales.
Peut-être, enfin, voulons-nous nous alléger de kilos jugés « en trop » car il ne fait pas bon, aujourd’hui, s’éloigner de la norme… La grossophobie, qui définit l’ensemble des stigmatisations et discriminations subies par les personnes en surpoids ou obèses, demeure en effet culturellement très ancrée dans les mentalités. En témoigne cette étude menée par le défenseur des droits, qui notait en 2016 que 42% des hommes et 29% des femmes interrogé.es estimaient qu’il était « acceptable », lors d’une embauche, de discriminer une personne du fait de son poids dans certaines situations…
Ces discriminations liées à la corpulence sont de plus en plus documentées. Cumulatives avec les inégalités de genre, elles frappent d’ailleurs essentiellement les femmes. Le sociologue Thibaut de Saint Pol, spécialiste de l’étude des modes de vie, rappelle ainsi dans Le corps désirable. Hommes et femmes face à leur poids, qu’il existe un lien statistique négatif entre l’IMC (indice de masse corporelle) et le salaire et les promotions… Autrement dit, plus une femme est corpulente, plus bas est son salaire et moins elle grimpera dans l’organigramme.
A noter que les conséquences de ces discriminations sont d'ordre économique, donc, mais aussi psychosociale. Le médecin nutritionniste Jacques Fricker note ainsi que les personnes obèses sont globalement moins optimistes, plus anxieuses et déprimées que ne l’est le reste de la population générale.
Risques pour la santé (avérés ou supposés), discrimination (avérée, cette fois)... n'en jetez plus. On aurait envie de vous conseiller d'essayer de lâcher prise, et de vous aimer telle que vous êtes. Ça semble tarte à la crème ? Peut-être, mais nous, c'est comme ça qu'on l'aime, la tarte.