Erin Clark a la passion artistique et sportive dans la peau. Pole danseuse, adepte du tissu aérien et de la corde à grimper, l’athlète compte un beau palmarès à son actif dans ces disciplines.
Combiner sport et handicap n’est pas chose aisée, qui plus est lorsque votre sport de prédilection se trouve être également artistique. En témoigne l’expérience faite par Erin Clark, artiste, autrice, championne de pole dance et de tissu aérien, et athlète paraplégique.
Erin Clark vit au Canada et moi, dans le Nord de la France. Les mauvaises langues diront que le climat similaire devrait nous rapprocher. La vérité, c’est qu’avec Erin Clark, le courant passe d’abord par à son engouement lorsqu’il s’agit de parler sport et performance artistique. C’est le sourire aux lèvres que la rousse flamboyante me raconte son enfance, ses premières expériences sportives aux barres de traction et les appréhensions de ses professeurs en la matière. Erin Clark a un handicap qui semble aveugler autrui quant à ses capacités : elle ne peut user de ses jambes et visiblement, ça crée des angoisses (pas chez elle, mais chez les observateur·ices de ses exploits).
S’il y a une chose qu’Erin aura trop entendue au cours de sa vie sportive, c’est bien “attention, tu vas te faire mal”. Dès son plus jeune âge, Erin grimpe à la barre de traction, sous les yeux éberlués des parents de ses petits camarades. Ceux-ci ne manquent d’ailleurs pas d’interpeler la maman d’Erin, qui réplique “appelez-moi s’il y a du sang”, consciente des capacités de sa fille. “C'est un peu l’histoire de ma vie : on me dit que je ne peux pas faire quelque chose que je suis déjà en train de réaliser physiquement”, rie-t-elle, “pourtant, je connais mieux mon corps et ses capacités que quiconque”.
Depuis, Erin s’affranchit des limites imposées par les croyances des personnes dites valides (ndlr : les personnes n’ayant pas de handicap) et trace son chemin dans le monde artistico-sportif du tissu aérien et de la pole dance.
Comme bien des athlètes porteur·euses de handicap, Erin se heurte à un chemin sportif d’abord pensé pour les personnes dites “valides”. Le tissu aérien et la pole dance n’échappent pas à cet état de fait, en témoigne notamment la première expérience d’Erin dans cette première discipline.
Lors de son premier cours de tissu aérien, Erin reste sur le côté, en simple observatrice. “L’une des premières choses que l’on apprend dans le tissu aérien, c’est comment envelopper son pied pour se hisser”, souligne-t-elle, “moi, je ne peux pas faire cela”. À la pause, Erin observe l’un de ses professeurs s’entrainer et se hisser au tissu pour finir en iron cross, une figure de la discipline. “Je peux faire ça”, s’exclame-t-elle alors. Aidée, elle enroule le tissu autour de ses poignets et c’est la révélation : alors qu’on présente l’enroulement aux pieds comme étant une base, pour Erin, cela passera par les poignets. Il faudra un an de pratique avant qu’Erin trouve une véritable solution, qui passera par un “hip key” (ndlr : une inversion permettant d’enrouler le tissu autour des hanches). Tout au long de sa pratique sportive, cette expérience se répétera encore et encore : c’est sur les épaules d’Erin que repose sans cesse la charge de l’adaptation.
Des week-ends durant, Erin s’entraine au tissu aérien et peaufine ses compétences. Sa professeure, Allison Williams, jouera un rôle essentiel dans sa vie sportive et artistique, un rôle “presque mystique” selon les mots d’Erin. “Lorsqu’elle m’a dit que j’avais ma place dans le milieu, je lui ai répondu que j’étais d’avance fatiguée par les gens qui me trouveraient ‘inspirante’ par mon handicap”, se souvient-elle, “elle m’a répondu que j’avais un pouvoir de performance indéniable, et ça a débloqué quelque chose en moi. Toute ma vie, j'ai été attirée par le spectacle. Je voulais être sur scène, d'une manière ou d'une autre”.
C’est en 2013 qu’Erin Clark donne naissance à son personnage scénique, International Sex Icon, qu’elle interprète dans un show en duo aérien, Flaming Mermaid Broken Star, jusqu’en 2015. Ce personnage prendra vie sur les planches de New York (rien que ça !) et promet de mettre en lumière les liens entre sexualité, handicap, pouvoir et statut social. Vaste programme, mais promesse tenue pour Erin.
Au fil de notre échange, je trouve en Erin une figure que je peine à trouver chez les sportif·ves qui m’entourent : un vécu similaire en certains points au mien et à celui de mes pairs porteur·euses de handicap. Sourde d’une oreille et autiste, les cours sont bien souvent peu adaptés à ma compréhension des consignes et à mon absence de proprioception. Les mots d’Erin éclairent en grand ce qu’au fond de moi, je savais déjà sans me l’avouer : le problème, ce n’est pas moi, ni Erin, mais bien le manque d’inclusion.
Handicaps visibles et invisibles se retrouvent dans le même bateau quand l'inclusion manque à l'appel, et dans ce bateau, on se serre les coudes.
“Quand on est acteur.ice ou performeur.euse, notre rôle, c’est de jouer”, explique Erin, “quand on a un handicap, celui-ci semble aussi avoir son rôle sur scène, aux yeux des gens valides”. Là où l’athlète performe, le public n’observe plus que le fauteuil roulant, la cane, la prothèse, ou tout autre objet porteur d’une symbolique de handicap. Et cela, Erin en fait l’expérience lors de son déménagement en Espagne, après ses aventures new-yorkaises. “Je ne parle pas vraiment espagnol, je ne pouvais donc plus user de l’art oratoire pour détourner l’attention du public de mon fauteuil, comme je le faisais lors de mes précédentes représentations”, explique-t-elle. Tout repose désormais sur sa gestuelle, ses représentations physiques.
En pole dance aussi, la discipline s’ouvre à peine aux personnes porteuses d’un handicap moteur. Lorsqu’Erin se lance dans les compétitions, c’est aussi la douche froids. L’accessibilité des lieux où se tenaient lesdites compétitions constituait la première phase de sélection pour l’athlète, là où les athlètes valides ne se posent aucune question. “J'arrive à ce concours, et les coulisses ne me sont pas accessibles. Les toilettes ne me sont pas accessibles non plus. Il n'y a pas d'hôtel à proximité qui propose des chambres accessibles”, illustre ainsi Erin, “Je devais constamment m'adapter pour faire partie de cette expérience dans laquelle ils allaient ensuite m'utiliser pour se donner une image inclusive. Ça m’a coûté mentalement, et financièrement.”
Vient ensuite la question de la notation des figures. “Pour obtenir le maximum de point, il faut pointer les pieds, chose que je ne peux réaliser”, précise Erin, “Aucun entraînement ne pourra rendre ma colonne vertébrale droite, ou faire en sorte que mes jambes ne soient plus paralysées.” Faute d’une notation adaptée, l’athlète part donc avec un handicap majeur dans sa discipline, malgré ses performances. Au fil de son parcours sportif, Erin rencontrera également des allié.es. Sa coach sportive, notamment, qui se battra par la suite pour faire entendre les dysfonctionnements de ladite compétition. Au niveau des compétitions comme des clubs, pour faire bouger les lignes et avancer l’inclusion, l’action est encore aujourd’hui de mise !
En 2017 et 2018, Erin représente l'Espagne aux championnats nationaux et internationaux de l’IPSF (International Pole Sports Federation). Elle remporte plusieurs médailles, dont l'or dans la catégorie parapole en 2018, établissant un record du monde en matière de pole dance en fauteuil roulant.
Malgré les obstacles sur son chemin, Erin est désormais une artiste et sportive accomplie. Sur Instagram, il y a quelque chose dans ses vidéos qui crie son plaisir à performer. “J’ai une scoliose sévère et être au sol m’est inconfortable, j’aime être en inversion, dans les airs”, souffle-t-elle dans un sourire, “j’aime aussi la difficulté de ces disciplines, la façon dont mes mains piquent après un entrainement, les muscles courbaturés… J’adore ça !” La passion de la performance et du dépassement de soi dévore la jeune femme, décidée à partager celle-ci autour d’elle.
Aujourd’hui, la sportive partage ses progrès et performances sur son compte Instagram pour le plus grand bonheur de ses followers. C’est comme ça que je l’ai connue, par le hasard des suggestions d’Instagram. Comme quoi, les réseaux sociaux ont encore du bon, quoi qu’on en dise !