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Grossophobie et sport : on en parle ?

Faire du sport, ce n'est que des bénéfices (à quelques courbatures et autres risques près, selon la pratique) : renouer avec son corps et ses capacités, être en meilleure forme physique et psychologique, apprendre de nouvelles choses. Mais pour les personnes grosses l'expérience est souvent plus amère. 

Entre les remarques non-sollicitées, les galères à trouver des vêtements ou un équipement à leur taille, dépasser les mauvais souvenirs d'école, dur de ne se focaliser que sur le plaisir de l'effort. Faisons un point !

Qu'est-ce que la grossophobie ?

Qui est touché par la grossophobie ?

Ce mot apparaît sous la plume d'Anne Zamberlan, actrice, militante et autrice de Coup de gueule contre la grossophobie, publié en 1994. C'est la traduction du terme américain « fatphobia », né dans le sillage des luttes body positive. On vous en parlait ici. Le mot « grossophobie » fait son chemin et entre (enfin) dans le dictionnaire Larousse en 2019 : « Nom féminin. Attitude hostile, moqueuse et/ou méprisante, voire discriminatoire, envers les personnes obèses ou en surpoids. »

La grossophobie concerne l'ensemble des propos et comportements ciblant les personnes grosses : moqueries, insultes, stéréotypes dévalorisants, mais aussi discriminations à l'embauche ou médicales. « Ainsi, les hommes et les femmes de forte corpulence sont généralement considérés comme inférieures sur le plan physique, intellectuel, moral, mais aussi vis-à-vis de la santé », explique à Santé Magazine Sylvie Benkemoun, psychologue et présidente du Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids (GROS).

Diet culture, mode, sexisme... : quelles sont les causes de la grossophobie ?

Pendant des siècles en Occident, personne ne se souciait véritablement de respecter une norme corporelle. « Ce que l'on peut dire sur le corps « moyen » et donc sur le corps « préférable » au Moyen Âge, c'est qu'il était assurément plus potelé, plus charnu qu'aujourd'hui », rappelle l'historien Christopher E. Forth chez France Culture. La grosseur était perçue comme un signe de bonne santé, puisqu'on mange à sa faim, suffisamment pour avoir de la force physique et la capacité de mener à bien une grossesse. « Mais pas dans des degrés extrêmes », nuance-t-il.

Au XIXᵉ siècle, on crée des normes statistiques à tout-va pour classifier les personnes « normales ». D'où la création de la formule de calcul de l'IMC en 1832 par le statisticien Adolphe Quetelet. Les personnes déviant de cette norme sont (déjà) considérées comme malades, fainéantes, trop bêtes pour savoir se nourrir correctement et prendre soin de leur corps. L'IMC est popularisé à partir de 1959 par… une compagnie d'assurance américaine (oui), la Metropolitan Life Insurance, pénalisant financièrement ses assuré·es jugé·es trop gros·ses.

Dans les années 1960, c'est le boom de l'industrie du prêt-à-porter, et aussi des pilules amaigrissantes et du fitness. « C'est le début de l'autogestion diététique », écrit Lauren Malka dans son essai Mangeuses (2023), à coups de croyances alimentaires fondées sur pas grand-chose de sérieux. Nous sommes encore en plein dedans, même si ici, on œuvre à mieux comprendre son alimentation, son corps et les préjugés qui en découlent !

Comment se manifeste la grossophobie ?

Tranche de vie : la grossophobie vécue par les premier.es concerné.es

« T'es trop gros, je ne veux pas de toi dans mon équipe ! », « Eh, grosse vache, tu prends toute la place dans le couloir, pousse-toi de là ! », « Non, pas de rab de frites pour toi, tu dois perdre quatre kilos, je te rappelle ! ». Voilà trois exemples recueillis par Okapi pour aborder le sujet du harcèlement scolaire subi par les élèves gros au collège. « Les regards dégoûtés dans le métro. Les râteaux pris en soirée. Les affiches de 15 mètres sur 5 qui ne montrent que des mannequins sculptées. Les sièges ridiculement petits dans les trains. Les pantalons qui s'arrêtent à la taille 40. Toutes ces petites insultes, notre collègue Marion les subit au quotidien », raconte 20 Minutes. « Même si on ne vous le dit pas, une personne obèse ne sera jamais prise à un poste de vente de vêtements ou de bijoux. Il suffit de regarder autour de vous pour le constater », déclare Elisabeth Bernez, présidente de l'association Poids Formes Bien-Être, auprès de France Bleu.

Être une personne grosse, c'est se faire reprocher partout, tout le temps, de prendre « trop » de place, de mal manger, d'être incompétente, de donner « une mauvaise image » à une entreprise. Et ce n'est pas tellement mal vu, au contraire : « C'est pour ton bien ! », entend-on en boucle quand on répète ne pas vouloir de commentaires sur notre silhouette ou le contenu de notre assiette.

Grossophobie : le domaine sportif également touché

Cet été, la DJ Barbara Butch a subi du cyberharcèlement à la suite de sa prestation lors de la cérémonie d'ouverture d'une compétition internationale. Les deux sportives médaillées Ilona Maher, joueuse de rugby, et Romane Dicko, judoka, ont également été attaquées sur leur physique.

« On peut avoir des bourrelets et faire du sport » réagit cette dernière, « Je suis sportive de haut niveau, donc je m'entraîne deux fois par jour. Parce que je ne suis pas sèche, je n'ai pas le physique de quelqu'un qui s'entraîne ? C'est fou comme le sport est hyperassocié à la perte de poids, il est associé à un physique, à un gabarit alors que pas du tout. » Ilona Maher explique à propos de son IMC de (presque) 30 : « J'ai été considérée en surpoids toute ma vie. L'IMC n'est pas utile pour les athlètes. L'IMC ne vous dit pas ce que je fais sur terrain, à quel point je suis en bonne santé. Deux nombres mis ensemble ne vous donnent pas ma masse musculaire […]»

Quelles sont les conséquences de la grossophobie ?

Sans surprise, entendre ou lire régulièrement à quel point on est moche, nul·le, négligé·e, du fait de sa corpulence a des conséquences plus ou moins sévères sur la qualité de vie :

• Risques de dépression et d'anxiété du fait d'une mauvaise estime de soi
• Risques de développer des troubles du comportement alimentaire
• Suivi médical irrégulier, même en cas de pathologie à surveiller ou soigner, et risques d'erreur de diagnostic
• Repli sur soi pour échapper à l'espace public peu accueillant (autant dire qu'on n'envisage même pas de pousser la porte d'une salle de sport)

Comment répondre à la grossophobie ?

Petit guide du self-care

Faire la paix avec son corps, surtout après des années à subir la grossophobie, peut prendre du temps. Ce n'est pas un chemin facile dans une société si hostile aux personnes grosses, mais pas après pas, il vaut la peine d'être parcouru.

• Internet et les réseaux sociaux regorgent de ressources et de personnes grosses visibles et ayant des choses à dire. Ça ne change pas tout, mais ça aide à se sentir moins seul·e : remplissez votre feed Instagram de contenus militants ou de représentations positives.
• Prenez du temps pour savoir ce qui vous convient : vêtements, activité physique, mais aussi un·e médecin bienveillant·e. Vous le méritez.
• Vous avez le droit de dire à votre entourage que vous ne voulez plus de commentaires sur votre corps, votre alimentation, votre activité sportive, parce que ça ne les regarde pas et que ça vous fait du mal. Si elles vous apprécient un minimum elles devraient comprendre les limites à ne pas dépasser, même si ça peut prendre du temps.
• Les personnes grosses ne sont pas des personnes ayant échoué à devenir ou rester minces. La minceur n'est pas une finalité pour être traité·e avec respect et avoir un quotidien le plus agréable possible. Vous n'êtes pas en attente d'être minces, mais vivant·es ici et maintenant : profitez-en !

Est-ce que la grossophobie est punie par la loi ?

​​La grossophobie n'est pas un motif de haine ou de discrimination spécifique, contrairement au racisme, à l'antisémitisme et au sexisme. « Les comportements grossophobes s'avèrent souvent assez difficiles à prouver », déplore Sylvie Benkemoun auprès de Santé Magazine. Ils sont néanmoins inclus dans l'article 225-1 du Code pénal relatif aux discriminations : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de […] leur apparence physique ». L'article L1132-1 du Code du travail prend aussi en compte l'apparence physique dans les discriminations exercées dans le monde professionnel. Le Défenseur des droits s'y est également intéressé pour sa décision-cadre n°2019-205 à propos de « l'obésité et à la grossophobie ».

Petit guide de la bienveillance sportive : comment savoir si l'on est grossophobe ? 

• Si vous pensez que les personnes grosses sont incapables de faire du sport parce qu'elles n'en ont ni la volonté ni les capacités physiques

• Si vous présupposez qu'une personne grosse fait du sport dans le (seul) but de mincir

• Si vous évaluez l'activité sportive d'une personne grosse en fonction de sa morphologie : « C'est bien ce que tu arrives à faire ! » ou ne pas envisager qu'elle a déjà une pratique sportive régulière

• Si vous estimez qu'une personne grosse ayant besoin de certaines adaptations pour faire du sport (comme modifier certaines postures pour mieux respirer avec un ventre volumineux, ou faire une planche sur les avant-bras plutôt que les poignets) est moins capable d'une personne mince

Il n'est pas trop tard pour y réfléchir et changer de regard sur les gros·ses sportif·ves !

autrice

Lucie Inland

Journaliste

Journaliste indépendante et autrice, j'ai redécouvert les plaisirs du sport il y a quelques années et suis déterminée à participer à le rendre plus inclusif. Entre deux sujets de société, je me vide la tête grâce à une session de barre au sol, de Pilates ou de yoga.

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