Et si, assis derrière votre ordinateur, ou votre Playstation, vous étiez en fait un•e sportif•ve de haut niveau ?
Les champion•nes eSport sont à Fifa, Counter Strike : Global Offensive, Fortnite, ce que Laure Manaudou, Martin Fourcade, ou encore Kylian Mbappe, sont à la natation, au ski de fond et au football.
Accompagnés de diététiciens, de kinésithérapeutes, de coachs, les meilleures équipes du monde fonctionnent comme les plus grandes équipes des sports plus conventionnels. Comment s’entraînent ces nouveaux champions ? Quel est leur quotidien ? Suffit-il de savoir jouer pour briller ? Voici quelques éléments de réponse.
Il n’y a pas de secret : pour performer, il faut pratiquer. Le monde de l’eSport n’y fait pas exception. Entre les balbutiements de cette discipline en 1998 avec des jeux comme Starcraft, et la montée en puissance des équipes professionnelles comme Vitality Team, Team Liquid, ou encore Team Aster, les pratiques ont profondément évolué.
Portés, dès 2012, par une professionnalisation venue de Corée du Sud, une seule chose est restée identique à ce que connaissaient les gamers de la fin du XXe siècle : la pratique. Pour performer à haut niveau, il faut maîtriser son jeu, comme un escrimeur maîtrise ses gestes, un marathonien sa foulée, un footballeur ses gestes techniques, etc.
Pour atteindre les sommets de son eSport, il faut y consacrer entre 35 et 50 heures par semaine, nous disent les experts. Les meilleurs ont la chance de faire de leur passion leur métier, et peuvent s’entraîner en journée. Beaucoup d’autres consacrent leurs soirées et le début de leurs nuits à jouer en réseau pour parfaire leurs techniques de jeu.
Dans un environnement hautement concurrentiel, où les carrières s’écrivent dans le ciel du succès comme des étoiles filantes dans le ciel de ces nuits de gaming, la maîtrise de son corps, de son temps, et de sa diététique, tient une place prépondérante. C’est ce qui fait la différence entre eSportif de haut niveau et un eSportif de très haut niveau.
Sources : Understanding Esports : An introduction to the Global Phenomenon, Ryan Rogers, Lexington books editions, 2019, page 37.
Ibid., Understanding Esports, page 38.
La décennie 2010-2020 a vu l’eSport entrer dans une nouvelle ère. Le développement de Gaming Houses (sorte de clubs d’entraînement) a participé à encadrer la pratique de l’eSport, plus particulièrement ses aspects extérieurs au jeu. Elles ont permis de remettre le joueur au centre des préoccupations, en s’occupant de sa santé physique et mentale, afin de lui garantir les meilleures performances de jeu.
On parle aujourd’hui de « centre de performance », telle que l’est l’entité développée au Stade de France, par l’équipe française Vitality, l’une des plus fortes équipes d’eSport du monde. Ce qui a fait la différence, n’est pas tant le développement de Gaming Houses, que ce qui s’y fait.
Ce qu’ont réalisé les joueur•euses professionnel•les de l’eSport, c’est la rationalisation de leurs entraînements. Ils sont parvenus à changer leur propre perception de leur pratique, comme Arsène Wenger avait pu révolutionner le monde du football par la diététique et le repos.
Les champions eSport accompagnent leur activité par plus d’une heure d’entraînement physique par jour et séquencent leurs pratiques pour se focaliser sur des aspects particuliers de leur pratique : concentration, augmentation de la vitesse, amélioration de l’endurance, de la capacité de prise de décision sous pression, etc.
Les eSportifs sont entrés dans l’aire des coachs mentaux, des préparateurs physiques, des diététiciens, qui traitent le corps comme une machine à l’équilibre fragile, qu’il convient d’entretenir pour durer, car la carrière est courte. En effet, la signature des contrats professionnels survient généralement avant l’âge de 20 ans et le déclin commence dès l’âge de 24 ans !
sources : Les plus grands managers du sport se confient, Rodier, Floriel et autre, Amphora édition, 12 avril 2021.
Digital Culture and Society, in Laborious Play and Playful Work I, Wenz, Fuchs et autres, volume 5, Issue 2/2019, page 27.
L’objectif des Gaming Houses est de maximiser les performances des athlètes de l’eSport, mais également de les inscrire dans la durée. Les eSportifs sont encadrés par des professionnels qui les entraînent pour éviter les blessures, que sont notamment les tendinites, les douleurs musculaires et articulaires, notamment dans les épaules et le dos. La pratique à outrance, comme dans n’importe quel sport, amène son lot de problèmes dont les plus répandus sont les troubles de la vision, douleurs lombaires, douleurs cervicales, maux de tête réguliers, syndrome du canal carpien.
Ces pathologies sont les mêmes que celles qui se retrouvent chez 90% des travailleurs utilisant un ordinateur plus de trois heures par jour. A tel point que certains professionnels du eSport ont connu une fin prématurée de leur carrière, comme Jesse Vainikka, alias Jerax, champion à Dota 2, qui aura finalement réussi un retour au jeu.
Les exercices physiques, qui induisent un renforcement musculaire salutaire, et améliorent les capacités cardio-respiratoires, sont donc devenus indispensables, tant en termes d’hygiène de vie que de performance.
Par ailleurs, les professionnels de l’eSport mettent en place des routines précises pour éviter ces désagréments. La plupart d’entre eux dorment huit heures par nuit, se lèvent tous les jours à la même heure, du lundi au vendredi, suivent un programme diététique strict, s’entraînent huit heures par jour en faisant attention à prendre des pauses régulières, et font en sorte d’avoir une vie de famille, ou une vie sociale « normale », ou presque.
L’équilibre psychique et la bonne condition physique sont devenus des caractéristiques indispensables à la performance. Le temps des joueurs invétérés qui ne décollaient pas les yeux de l’ordinateur semble définitivement révolu. Aujourd’hui, l’eSportif est un athlète de haut niveau, accompagné par d’anciens athlètes de haut niveau.
Comme tout sport de haut niveau, l’eSport ne fait pas exception à la nécessité de développer un bon mental. Si les langues commencent à se délier dans les milieux sportifs traditionnels, quant aux problèmes psychologiques auxquels les athlètes font face durant leur carrière, l’eSport a déjà pris la mesure de l’enjeu.
Il est ancré dans les caractéristiques même de ce sport, qui fait de la stabilité émotionnelle et de la flexibilité les ingrédients indispensables à la victoire. La gestion de situations de stress intense et le degré de compétitivité ont permis de mettre très rapidement en évidence le besoin d’intégrer l’aspect mental aux entraînements des eSportifs de haut niveau.
Surtout que ces derniers ne sont pas à l’abri de la dépression, des burn-out, ou encore de l’addiction au jeu. Ce n’est pas un hasard si des personnalités du sport professionnel classique commencent à entrer dans les staffs d’équipes eSport. Par exemple, Raynald Choquet, préparateur physique de grandes équipes de volley a rejoint la Team Vitality, numéro 1 de l’eSport.
Le temps où le joueur se trouvait seul face à la machine, s’entraînait seul, vivait seul, semble définitivement révolu. Après l’apparition du strater (manager), est venue s’ajouter toute une myriade d’intervenants, qui vont du kiné jusqu’au psychologue, en passant par le préparateur physique.
Qu’ont à voir le sport et son homologue électronique, qui se joue à grand renfort de manettes et claviers ? Pour certains, pas grand-chose, pour d'autres, beaucoup plus qu'on ne le croit... mais les deux disciplines développent des accointances qui commencent à se voir. Parce qu’ils ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre ?
Les champions du eSport sont devenus des sportifs de haut niveau à part entière, sponsorisés, adulés, qui font vivre une nouvelle économie. L’assiduité, la persévérance, la rationalisation des entraînements, sont autant de concepts qui ont fait leur entrée dans cette nouvelle discipline, en seulement une dizaine d’années.