Votre arrêt contraint et/ou forcé est (ENFIN) révolu et vous n’avez qu’une hâte : gambader de nouveau sur vos sentiers préférés. Mais est-ce vraiment trop demander que la réalité post-arrêt (autant dire, post-apocalyptique) soit à la hauteur de votre engouement ? (Bon, vous l’aurez compris, ce·cette traileur·euse en manque de trail, c’est vous.)
“Il faut reprendre l’entraînement progressivement”. Qui n’a jamais entendu cette phrase ? Non, sérieusement, si quelqu’un ne l’a jamais entendue, que ce spécimen rare et en voie d’extinction se manifeste. Tenez, même nos voisins Italiens ont leur propre variante avec “chi va piano va sano”, comprenez, “qui va doucement va sainement/sûrement”. Tout cela pour dire qu’on l’a entendue des millions de fois, cette fameuse phrase, et qu’on ne nous la répétera encore jamais assez… Pourtant, ce dicton populaire semble sonner creux. Il semble sonner creux, car il est vu, et revu, et re-revu, et on pourrait continuer comme ça encore longtemps. À écrire aussi cette phrase semble creuse. Mais elle le semble seulement. Elle est comme le vieux sage qui nous somme de ralentir, à qui l’on sourit sans prendre la peine de nous arrêter. Elle est comme les mamans, elle a toujours raison. Cette phrase, c’est une évidence, et nous n’aimons pas les évidences, car elles nous empêchent de leur tenir tête.
Le moment est donc venu de retirer nos œillères, lorsqu’on nous dit de reprendre l’entraînement progressivement, c’est parce que c’est vrai. Aussi bien en terme de distance parcourue, que d’intensité d’effort, et de fréquence de pratique. Il faut y aller crescendo (pour poursuivre sur notre lancée italienne). Laissons à notre corps le temps de se réapproprier les mouvements propres à la course à pied. Laissons-lui le temps de se muscler de nouveau. Laissons-lui le temps de nous offrir du temps…
On voit d’ici le tableau : vous, à qui l’on dit que vous pouvez reprendre le trail, et l’éclair qui traverse vos yeux, malicieux et plein de hâte. Ne regardez pas ailleurs, vous savez très bien de quoi on parle ! Tenez, vous êtes justement en train de vous renseigner pour savoir quelle course ultra distance a lieu le mois prochain et pour laquelle il y a toujours des dossards disponibles. IN-CO-RRI-GI-BLE, on vous le dit. Mais comment pourrait-on vous blâmer ? Vous avez été privé·e de trail pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, autant de temps que vous pensez devoir rattraper. Aussi compréhensible et naturelle que soit cette réaction de traileur·euse passionné·e, nous avons le regret de vous annoncer que le monde ne va pas ainsi. L’appel de la course a beau être incroyablement irrésistible, il doit aussi et surtout être honoré dans les règles de l’art. Une compétition reste l’accomplissement d’un long cheminement, la concrétisation d’heures d’entraînement, l’achèvement d’un cycle, pas le début. Vouloir reprendre le trail par une compétition, c’est commencer par la fin. Comment parvenir à réaliser vos objectifs sans les préparer ? Comment demeurer motivé·e et confiant·e en vos capacités lorsque celles-ci ne se situent qu’à un infime pourcentage de leur potentiel ? Vous connaissez déjà la réponse, et possédez à présent la détermination nécessaire pour mettre en application cette dernière !
Mal informé·e et trop plein·e de toupet soit celui·celle qui ose vous critiquer. “Non mais oh !”. Hum… Permettez-nous d’émettre une simple remarque ? Non ? Bon, tant pis… On se lance quand même : s’il y a bien quelqu’un qui a la critique facile envers vous (et sans vouloir jouer les rapporteurs à quatre chandelles), c’est… Vous-même ! Vous n’y allez franchement pas de main morte quand il s’agit d’énumérer vos défauts et faiblesses. Aussi, préparez-vous à recevoir un flot de critiques lorsque vous allez reprendre le trail. “J’suis trop nul·le”, “j’avance à rien”, “je ne retrouverai jamais mon niveau d’avant”, se situant dans le top 3 des punchlines que vous vous auto-infligerez. Est-ce que cela vous fera du bien ? Sûrement pas ! Mais du coup, pourquoi continuer ?
Alors que vous n’aurez de cesse de vous remémorer (non sans nostalgie) votre ancien·ne vous, vous en oublierez presque que c’est ce·cette même ancien·ne vous que vous ne complimentiez jamais avant et dont vous n’étiez jamais satisfait·e. Ironique, n’est-ce pas ? Surtout lorsqu’on sait que c’est justement votre image actuelle que vous regarderez certainement plus tard avec envie. Donc, en résumé, vous comptez n’aimer QUE la personne que vous étiez dans le passé, et JAMAIS celle que vous êtes aujourd’hui. Ça s’annonce chouette !
Allez, il n’est jamais trop tard pour apprécier le·a traileur·euse, la personne, l’homme, la femme que vous êtes en ce moment-même. Portez sur vous un regard de bienveillance et de respect. Vous faites ce que vous pouvez aujourd’hui, vous êtes qui vous pouvez aujourd’hui, et ça, c’est déjà beaucoup.
Pendant votre convalescence, infligée ou consentie, votre corps n’a pas été sollicité comme à l’accoutumée. Cela s’appelle le ”repos”, un nouveau mot à ajouter à votre vocabulaire ! Aussi, vous ne pouvez pas exiger de lui qu’il donne le meilleur de lui-même, puisqu’il n’est justement pas au meilleur de lui-même. Et c’est d’ailleurs en cela que réside le principe de l’entraînement : la progression. “Oui, mais je cours une minute moins vite au kilomètre qu’avant” (gnagnagna, on se moque de vous, mais nous aussi nous sommes pareil·les).
Imaginez aussi combien cela serait injuste si nous retrouvions notre niveau tel que nous l’avions laissé avant notre arrêt, où serait tout le piquant de l’entraînement ? Tout avoir sans prendre la peine de travailler ? Beurk, très peu pour nous.
Essayons d’apprécier à leurs justes valeurs les capacités de progression de notre corps, sans attendre de celui-ci qu’il soit infaillible et parfait. Notre corps, ce merveilleux outil grâce auquel nous appréhendons le monde. Ce n’est pas rien dit comme ça, hein ? Ce corps qui a appris la parole, la marche, la course, et tant d’autres choses encore ! Notre minute de moins au kilomètre semble tout de suite bien dérisoire, n’est-ce pas ? Ne nous limitons pas à une seule conception élitiste de nos performances, cela serait un pur mensonge. Les performances ne sont que la face visible de l’iceberg. L’entraînement, les hauts et les bas, les joies et les peines, en sont la face cachée. Tous·tes les athlètes de haut-niveau vous le diront. Et bonne nouvelle, nous sommes fait·es comme eux, de hauts et de bas, de joies et de peines. Toute la magie de la performance, de l’accomplissement, réside en la face cachée de l’iceberg : dans la progression et le travail, dans la patience, pas dans l’instantané. Ça vaut bien le coup d’attendre un peu et de mettre la main à la pâte, vous ne trouvez pas ?
Vous avez une faim de loup ? Tant mieux ! Mais dans ce cas-là, apprendre à contrôler votre appétit peut-être judicieux si vous ne voulez pas finir comme le Petit Chaperon Rouge (bon, d’accord, on exagère un petit peu, là).
Enfin passons, tout cela pour dire qu’ayant TELLEMENT attendu le moment de la reprise, cela serait dommage que vous n’en profitiez pas le plus longtemps possible. Transférer toute la frustration emmagasinée pendant votre arrêt sur une courte période de reprise n’est pas la meilleure solution. Pourquoi ? Parce que c’est probablement un nouvel arrêt qui vous attend au bout du chemin. En faisant de la satiété une fin en soit, c’est l’indigestion qui pointe le bout de son nez. En revanche, en reprenant l’entraînement progressivement, en vous fixant des objectifs raisonnables, et en étant indulgent·e et patient·e avec vous-même, vous en garderez logiquement sous la semelle, comme on dit chez nous ! Autrement dit, faites bon usage de votre motivation, laissez-lui le temps de s’exprimer et elle vous le rendra bien. Après tout, la motivation s’étale comme de la confiture : jusqu’aux rebords de la tartine, mais pas sur les doigts, parce qu’après, la dégustation en devient désagréable. Vous suivez ?
À l’image de votre maman qui ne voulait rien entendre lorsque vous tentiez de justifier votre mauvaise note par la très célèbre excuse, “non mais, comparé aux autres, ça va !”, vous aussi vous devez faire abstraction des autres ! “Un·e tel·le fait déjà des sorties de deux heures”, “un·e tel·le a rapidement retrouvé son niveau d’avant”, “un·e tel·le a fait ci, un·e tel·le a fait ça”. Ne jouez pas celui·celle qui est toujours le·a dernier·ère mis·e au courant, vous êtes déjà au fait depuis bien longtemps : nous possédons tous·tes des capacités différentes. C’est vrai, cela créé parfois (même souvent) de l’envie, un profond sentiment d’injustice, ou plus radicalement encore, une envie de tout plaquer. Mais ce sont précisément ces émotions négatives et trompeuses que nous devons dompter pour parvenir à accomplir ce dont NOUS sommes capables. Par ailleurs, vous pouvez bien avoir l’impression d’être le·a plus malchanceux·euse du monde, il y aura TOUJOURS une capacité, une qualité, un petit truc en plus que les autres remarqueront chez vous, qui vous rendra unique, et que personne ne pourra vous enlever. Vous êtes vous, vous n’êtes pas les autres, et les autres ne sont pas vous. Et si, au lieu de vous comparer aux autres, vous commenciez à voir qui vous êtes ? Car savoir et accepter qui l’on est vaut bien plus qu’un top 10 sur n’importe quel trail. Le top 10 est interchangeable, vous, vous ne l’êtes pas.
Vous pouvez (devez) vous réjouir de la fin de votre arrêt prolongé, aucun doute là-dessus. Cependant, foncer tête baissée en pensant à toutes les formidables aventures qui vous attendent sans même prendre de la graine ni du recul sur la période d'accalmie que vous venez de traverser, ça non. Votre arrêt était-il nécessaire ? Aviez-vous besoin de ce temps de repos ? Cette coupure fut-elle uniquement synonyme de peine et de frustration ? Vous a-t-elle coupé le goût de tout ? Était-ce franchement si terrible ? En vous replongeant sur votre état d’esprit passé, avec sagesse et honnêteté, vous tirerez forcément quelque chose de positif de cette expérience. Au mieux, elle vous a permis de vous reposer, de vous soigner, de prendre le temps de faire ce que vous ne faisiez plus avant, ou ce que vous n’avez jamais fait. Au pire, cet arrêt n’a fait que confirmer combien vous aimez le trail, ou combien vous aviez besoin de vous en couper pour mieux l’apprécier. N’ayez pas honte de voir la lumière là où tout le monde broie du noir.
La frustration et la culpabilité d’un arrêt prolongé passé non-anticipé. L’inquiétude et la pression de ne pas arriver dans la forme physique que vous vous étiez imaginé·e arborer dans un mois. Et dans tout ça, où êtes-vous, vous ?
La reprise a sonné, votre plan d’entraînement, lui, est surchargé, “il y a du boulot à rattraper”. Malheureusement, ou devrait-on plutôt dire, fort heureusement, le temps ne se rattrape pas. En revanche, vous pouvez adapter votre façon de le vivre et de l’appréhender. Pourquoi passer de la frustration, à la culpabilité, puis de l’inquiétude, à la pression ? Où se trouvent le plaisir et la reconnaissance ? Tenez, d’ailleurs, puisque vous aimez tant vivre partout sauf dans le moment présent, imaginez donc qu’au lieu d’être ici et maintenant en train de courir, vous soyez toujours en arrêt. Ah, ça y est ! Vous venez tout juste de réaliser combien vous êtes chanceux·euse de pouvoir vous adonner à votre passion, ce n’était pas trop tôt ! Le passé est au passé, votre arrêt est terminé, pourquoi vouloir à tout prix être hanté·e par son ombre qui vous poursuit sans relâche à l’entraînement. “Attentionnn, j’arriiiive, ne ralentis paas. Allez, plus viiiite !”. Ne courez plus après le temps, courez maintenant.
Ainsi, maîtriser un·e traileur·euse en manque de trail après un arrêt prolongé n’est pas aussi compliqué qu’il n’y paraît. Nous qui croyions au départ avoir à faire à une bête enragée, il s’est avéré que ce que nous avions face à nous relevait plutôt du chiot apeuré, livré à lui-même, mais pas moins fougueux. Le·a traileur·euse en manque de trail ne mord personne, sinon lui·elle-même. Passionné·e, perfectionniste, et impatient·e, une caresse sur le ventre suffit à l’apprivoiser, à le·a rassurer, et à lui faire réaliser qu’il·elle n’est pas seul·e : un arrêt prolongé déboussole, certes, mais ensemble on ne perd pas le Nord (héhé).