Le trail, vous y goûtez crescendo ou vous faites plutôt parti·e de la team impatiente (celle qui affole son compteur GPS à tout-va) ? Peu importe, dans les deux cas, il y a toujours une histoire de premières fois !
Le trail, vous y goûtez crescendo ou vous faites plutôt partie de la team impatiente (celle qui affole son compteur GPS à tout-va) ? Peu importe, dans les deux cas, il y a toujours une histoire de premières fois ! On a tous déjà échangé avec un·e traileur·euse super expérimenté·e. Vous savez, celui·celle dont les propos regorgent d’anecdotes improbables, drôles, vous provoquant parfois même une bonne dose de sueurs froides. Sauf que, tout bien réfléchi, il n’est pas utile d’avoir couru tous les trails de l’hexagone pour vous improviser conteur·euse d’histoires. À chaque course son lot de surprises, de rencontres, et d’adrénaline. Après tout, vous n’oublierez jamais toutes ces premières fois...
Vous sentez encore toute l’excitation qui l’entoure, cette première nuit. Du jour où, planté·e devant votre ordinateur vous avez cliqué sur l’onglet inscription après avoir lu dans le descriptif de l’épreuve que le départ serait donné à minuit pile sur la place communale. Comme le sentiment d’être un·e guerrier·ère s’en allant affronter la froideur de la nuit, dangereusement guetté·e par ces hyènes et leurs yeux jaunes transperçant l’obscurité, leurs crocs acérés, tranchant comme… STOOOOP ! Mettez sur pause la bande-annonce du film produit (par vous-même) en hommage à votre gloire.
Vous vous trouvez précisément sur la place communale et vous ne vous étiez certainement pas préparé au choc. Rude. C’est magique. Le speaker fait le décompte, les fumigènes rouges embrassent la nuit. La quasi-totalité des habitants du village a veillé spécialement pour vous, les enfants ne sont pas au lit dans l’espoir de vous encourager depuis les fenêtres de leurs chambres. *Ce passage là est mieux que dans votre film*. Sauf que vous n’aviez jamais songé au gouffre qui se trouvait entre l’euphorie de toute cette agitation, et le fait de vous retrouver seul·e quelques demies-heures plus tard, au cœur de la nuit, votre lampe frontale comme unique alliée dans la pénombre.
D’ailleurs, pourquoi perd-elle en intensité au fil des minutes ? Pourquoi s’éteint-elle ? Quoi ? Les piles ? Comment est-ce possible ? Hugo, 13 ans, s’est simplement emparé des premières qui lui sont venues sous la main. Une partie de jeu vidéo n’attend pas Madame, Monsieur. Vous allez le déshériter, votre petit dernier ? Vous avez raison.
“ Cinquante bornes ? Pouuuuah*, facile ! J’ai déjà fait une course de trente kilomètres, ce n’est jamais que vingt de plus. Fingers in the nose ! ”.
*Alors, j'utilise ce cri du cœur, mais est-ce qu'il vous parle, à vous aussi ?
Ben, voyons. Cinquante kilomètres, ça ne s’improvise pas, chèr·e sportif·ve. Pourtant, même en s’y préparant le plus rigoureusement du monde, aucune personne ne peut dire, une fois la ligne d’arrivée franchie, que c’est exactement ce à quoi elle s’attendait. Certaines peinent à se mettre en jambes en début de course. D’autres se prennent le fameux coup de bambou aux alentours du trentième kilomètre.
Le premier cinquante bornes, c’est très souvent une révélation sur soi : l’organisme parle, nous force à l’écouter, et a toujours le dernier mot, “ ok, tu ne veux pas de sucre, j’ai compris ”. Il vous faudra plusieurs autres cinquante bornes avant de trouver L’ALIMENT qui vous contente tous les deux. Un vrai travail d’équipe. Le premier cinquante bornes, et tous les autres, c’est une leçon de patience, le dressage d’un chiot rebelle. C’est apprendre à anticiper, à se gérer tout au long du parcours si vous voulez l’enfiler, ce t-shirt finisher. Le premier cinquante bornes, c’est un palier qu’il faut tutoyer. Généralement, cela fonctionne plutôt bien car tout ceux qui s’y essayent y reviennent !
Votre premier cinquante bornes, c’est la première leçon d’humilité que vous a donné le trail. En fait, le trail c’est un peu un dieu grec qui remettrait les hommes à leur place d’homme. Vous auriez dû vous en douter, sapristi ! Ces oiseaux que vous avez vu survoler l’arche de départ, c’était l’oracle du dieu du trail. Tout est clair, désormais.
Je vous entends d’ici, vous criez à l’arnaque, au scandale. “ Bouh ! Depuis le début, tu nous parles de galère, et tu oses intituler ce paragraphe “ la première galère ”. Tu ne manques pas de toupet ! ”. En lisant ce qui suit, vous comprendrez vite qu’il existe une échelle de la galère… Et celle-ci est haut placée.
Je pourrais vous parler d’un comportement typiquement masculin (désolée, c’est un fait) : se perdre en course. Oui, vous, les hommes, vous en avez fait votre spécialité. Mais je ne suis ici pour faire le procès de personne (trop tard, c’est fait). Alors, je vais parler de ma pire galère en course. Car une bonne vraie galère ne peut pas être fictive, mais strictement personnelle.
Nous sommes à l’Ultra Trail Puy Mary Aurillac ®, en juin 2016. Les conditions météorologiques sont… Comme on les aime ! Il vente fort, il pleut fort, et il fait froid. Et, éléments qui ont toute leur importance : il y a 105 kilomètres et 5 500 mètres de dénivelé positif à parcourir. Je n’ai jamais couru en moyenne altitude, ni avec des bâtons, ni une telle distance. J’ai déjà les deux pieds ancrés dans la galère alors que je n’ai pas encore commencé la course. Pas besoin de vous faire un dessin, ce n’est pas au (vieux, je ne me permettrais pas) singe qu’on apprend à faire la grimace. Vous savez à quel point le challenge est transcendant !
Le départ est donné, je veux courir dans toutes les côtes, erreur basique. Ma lampe frontale éclaire très mal devant moi, et pourtant, j’avais pris soin d’y glisser des piles neuves avant de partir. Un crachin permanent, plus ou moins épais, vient s’écraser contre mon faisceau lumineux. La boue est épaisse, collante, en descente j’y reste scotchée. Comme si la galère me disait : “ tu as voulu faire la maligne, alors profite de ce doux moment ”. Transie de froid, je décide d’enlever mes chaussettes de contention et d’envelopper mes mains glacées à l’intérieur. Je suis au summum de ma beauté et de ma forme physique. À un ravitaillement, un bénévole m’interpelle : “ vous souhaitez abandonner ? ”. Mon visage a parlé pour moi. Bref, j’ai mis mon clignotant, et il n’y a pas eu d’accident. La suite dans le prochain paragraphe, suspens...!
Allez, souriez, tout va bien ! Le premier abandon n’est pas synonyme de fin du monde, ça arrive. Vous en vivrez d’autres, et des belles, des arrivées. Il n’empêche que, contrairement à la bande-annonce de pré-départ où vous tenez le rôle du héros, celle qui vient après l’abandon vire au thriller, et vous en êtes la victime (de vous-même, soit dit en passant). Vous vous repassez cent fois le scénario de la course dans votre tête. Finalement, vous en venez toujours à la même conclusion : vous auriez peut-être pu la franchir finalement, cette ligne d’arrivée. C’est sûr qu’une fois douché·e, ravitaillé·e et reposé·e, c’est facile à dire ! Oui, vous auriez effectivement pu finir cette course, si vous aviez… Et si vous n’aviez pas… Et surtout, si vous pouviez faire un saut dans le passé, et encore... Mais à quel prix ? Comment apprendre à revenir plus fort·e, à se remettre en question, à progresser, si vous ne vous plantez jamais ? Non, ne regrettez rien.
Ne pensez pas que vous incarnez le·a traileur·euse le·a moins chanceux·euse que les sentiers aient vu passer. Prenez chaque expérience, bonne ou mauvaise, comme un apprentissage de résistance au stress, comme un moyen de devenir une meilleure version de vous-même : parce qu’il est bien connu qu’il faut plusieurs essais avant d’y parvenir !
On vous acclame, on vous applaudit. Ça sent la fin ! Vous apercevez des papys et des mamies assis sur un banc. Ils vous lancent un, “ allez mon petiot ! Encore deux kilomètres ”. Deux kilomètres, le pied ! La libération. Vous songez que finalement, c’est passé plutôt vite. Ouf ! Bon, où est-elle cette fichue ligne ?
Voici une seconde leçon que vous devez retenir : ne jamais croire les estimations kilométriques des supporters. JAMAIS. Ces paroles sont vos ennemies. C’est le chant des sirènes qui vous berce d’illusions et vous attire dans les profondes noirceurs de votre irritabilité, après sept heures de course. Quand ces créatures fantastiques vous annoncent un chiffre, bouchez-vous les oreilles. Très fort. Ce n’était pas deux kilomètres qu’il vous restait à parcourir, mais plutôt cinq.
Vous mettez votre rancœur de côté lorsque, cette fois-ci, vous percevez clairement une irréfutable preuve que l’arrivée n’est pas un mirage : la sono, la vie. La délivrance. Vous vous sentez frais comme un gardon, prêt à aller piquer une tête avec les sirènes. Vos mollets sont légers, vos ampoules envolées.
Quoi, c’est déjà fini ? Vous avez envie de retrouver les papys et les mamies sur le banc, à deux kilomètres de l’arrivée, pardon, cinq. Vous souhaitez les présenter au comité d’organisation de la course : il faut la prolonger d’au moins dix kilomètres l’année prochaine ! Non, je rigole.
Le speaker vous tape dans la main ! Vous dites même un petit mot au micro, enfin quatre, “ c’était trop bien ! ”. Un bénévole décore votre cou d’une médaille. Vous rejoignez au ravito votre copain de course, Romain. Vous en rêviez de ce cantal et de ce saucisson !
Quand on parle du loup : votre premier compagnon de course, c’est Romain. Histoire de planter le décor, Romain et vous en quelques chiffres, c’est :
Une rencontre au treizième kilomètre.
Romain qui vous voit vomir au trente-cinquième (forcément, ça créé des liens).
Vous qui le ramassez par terre après sa gamelle du quarante-deuxième (dit comme ça, le trail fait rêver).
Votre petit copain qui lui tend une compote au ravitaillement du quarante-cinquième (lui aussi l’a validé).
Cinquante kilomètres pour en faire votre ami pour la vie.
L’avantage de l’amitié en course, c’est qu’on va droit à l’essentiel. Les courbettes, les pincettes, et autres pertes de temps n’ont pas lieu d’être. À la fois fatigués par l’effort, et émerveillés par le cadre dans lequel vous vous trouvez, vous renoncez aux balivernes, et aux filtres. Les masques tombent et vous les piétinez. Vous connaissez sa vie. Romain connaît la vôtre.
Alors, ces quelques lignes sont un big up à tous les copains de course ! Et même, voire surtout, à ceux à qui l’on demande, une fois la ligne d’arrivée franchie, parfois même sous la douche collective*, “ mais au fait, comment tu t’appelles ? ”.
*Ce qui n’est pas votre cas, à vous et Romain. On a dit douche collective, pas douche mixte !
L’idée qui suit nous a tous déjà traversé l’esprit. Dans une côte, les cuisses brûlantes. En évoluant difficilement face à un vent déchaîné et une pluie virulente. “ C’est la dernière fois ! Plus, jamais ”. Évidemment, en pleine galère, il serait fou de se dire “ j’adore ce moment, je voudrais qu’il dure une éternité ”. Mais bon, en tant que bon·ne traileur·euse qui se respecte, lorsqu’il s’agit de renoncer à courir, vous n’avez aucune volonté. À peine arrivé·e, transpercé·e par la vie et abreuvé·e par les encouragements de vos supporters, vous n’avez qu’une seule envie : recommencer !
En parlant de vos supporters, vous avez à cœur de leur donner bonne impression. Mais, à trop vouloir bien faire vous aviez oublié qu’en course, pour passer du mental d’acier à la fleur bleue, il n’y a qu’un pas. Vous leur souriez, vous souhaitez les prendre dans vos bras. Pour, la seconde d’après, être pris·e par l’envie de déverser toutes les larmes de votre corps. En somme, vous n’êtes plus vous-même. À moins que, justement, vous n’ayez jamais été autant vous-même ?
Mine de rien, votre cercle de supporters, c’est un peu votre talon d’Achille. Au cours de l’effort, dans les moments un peu plus difficiles, votre carapace craquelle face à lui. Faire tomber le masque avec Romain qui est dans la même situation que vous, ça va. Mais le retirer devant les yeux d’une famille protectrice et aimante, c’est plus difficile à accepter.
Pourtant, au moment de passer sous l’arche d’arrivée, le constat est toujours le même : vous prenez conscience des instants sacrés que vous venez de partager avec eux, et vous en voulez d’autres, encore et encore !
Vous avez beau avoir vécu toutes ces premières fois, et d’autres, vous ne pourrez jamais anticiper les suivantes ! Car chaque trail est unique, même celui que vous courrez tous les ans depuis des siècles. Ne vous entendez-vous donc pas dire, à l’arrivée, “ tu ne devineras jamais ce qu’il m’est arrivé ! ”. Nous, on vous entend, et on veut savoir ce qui vous est arrivé de si spécial, pour que vous vous en souveniez à tout jamais.