Née dans les années 80, l’émergence de la mode de la rue, ou streetwear, ou mode urbaine, a transformé le monde de la mode tout entier...
Marie est passionnée par l’histoire et la sociologie de la mode. Diplômée d’un MBA en marketing international spécialité mode en 2011, elle a choisi d’étudier le lien qui unit la mode et le sport, l’histoire et la naissance du sportswear dans le cadre de son mémoire de fin d’étude. Elle prend aujourd’hui la parole sur une thématique phare, l’influence des communautés dans l’avènement du streetwear.
Rencontre entre la culture des surfeurs et skateurs de la côte californienne et des danseurs hip-hop des rues new-yorkaises, le streetwear se veut la marque de fabrique d’une jeunesse populaire, créative, rebelle et alternative. Le streetwear reste aujourd’hui le style favori d’une génération en quête de liberté et d’indépendance, il est partout et inspire les grandes marques de luxe chaque saison et son influence est toujours plus grandissante.
Il semblerait que ce soit le groupe de hip-hop américain Run DMC qui soit à l’origine de la mode de la rue et qui influença toute une génération grâce à ses codes vestimentaires. Les membres du groupe sont les premiers “non sportifs” à avoir conclu un contrat avec l'équipementier sportif à trois bandes. Ils feront d’ailleurs un hymne aux sneakers qu’ils portent constamment avec leur succès My Adidas.
Shawn Stussy, designer de planches de surf et surfeur californien émérite, a commencé à l’arrière de son van à vendre des t-shirts XXL sérigraphiés de son nom de famille dessiné au marqueur : le succès est phénoménal.
Pour contrer la mode colorblock des années 80, la jeunesse de l’époque est avide de silhouette plus sobre et casual. C’est lors de cette décennie que naît le t-shirt à message, synonyme de cool, il marque l’appartenance à un style musical, à une pratique, à une culture, à une communauté. En parallèle, les vêtements oversize laissant la part belle au mouvement, sont adoptés par la scène hip-hop en vogue dans les ghettos de NYC.
Stussy monte un empire grâce à ses basiques revisités et convainc toutes les sphères alternatives et populaires par la simplicité et l’aspect graphique de ses pièces, c’est l’avènement du logo. Il sera rejoint en 1991 par James Jebbia, le créateur de Supreme, une autre success story.
Les modes de la rue sont créatives et imaginatives car, en général, elles ne disposent pas encore d’un arsenal de marques de référence. Très vite, les professionnels se basent sur ces manifestations pour orienter leurs offres, et le streetwear finit par devenir un genre de l’univers des marques. Leurs efforts sont récompensés par les adolescents des années 80 et 90, qui élisent avec passion des marques comme étendard de leur tribu. Dominé par les jeanneurs, les marques de sports et celles construites sur la légende américaine comme Chevignon, le streetwear connaît une explosion dans les années 90 avec la vogue des sports de glisse comme le skateboard. La panoplie type est caractérisée par l’extra-large des sweat-shirts et des baggys pour plus d’aisance dans les mouvements du corps, tandis que les filles montrent leur nombril entre des microbrassières et des joggings souples.
Nike, Adidas, Le Coq Sportif ou encore Champion deviennent des marques incontournables du vestiaire streetwear. Portés initialement sur les playgrounds, leurs logos investissent les tenues du quotidien.
Toujours accompagnés de sneakers Adidas Superstar, de Nike Jordans et de casquettes logotypées, les looks streetwear s’imposent chez les jeunes des années 90. La scène musicale hip-hop, Run DMC, Kanye West, Jay-Z, Snoop Dog ou encore Rihanna sont de véritables figures de proue. Ils se réapproprient les codes du luxe et brisent les codes d’une mode trop conventionnelle en les mixant aux influences de la rue et des communautés.
Certaines marques haut de gamme se font d’ailleurs dépasser par la popularisation de leur image et la réappropriation de leur identité. Leur histoire prend des tournants stylistiques étonnants, davantage menés par la rue que par leur propre chef.
Le lien ambivalent entre le luxe et le streetwear, timide au départ, s’est véritablement renforcé dans les années 90 grâce aux figures emblématiques de la culture musicale principalement.
Avec Goodenough, Hiroshi Fujiwara jette les bases du streetwear de luxe : des éditions hyper limitées, inspirées du vestiaire des surfeurs, skateurs et danseurs, au prix d’une pièce haut de gamme voir de luxe. Le concept explose et les pièces se vendent à la vitesse de l’éclair.
Dans les années 2000, le streetwear émerge chez les marques de luxe qui s’emparent des codes de la rue pour attirer une cible nouvelle. Les marques utilisent alors une stratégie marketing à succès en collaborant avec des artistes influents sur la scène du Rap, Hip-Hop et RnB. Nekfeu signe par exemple avec Agnès B, Louis Vuitton choisit Kanny West et Pharell Williams pour diffuser son image, une véritable révolution dans le monde du luxe. Certaines célébrités vont même jusqu’à créer leurs propres lignes de vêtements comme Kanye West et la marque Yeezy chez Adidas, Rihanna chez Puma ou A$ap Rocky chez GUCCI, des pièces de mode qui s’arrachent à prix d’or.
Le streetwear prône son unicité et originalité en mixant des pièces de luxe avec des pièces d’entrée de gamme, des pièces neuves avec des vêtements vintage ou de seconde main. Le streetwear est une mode décomplexée qui laisse libre cours à l’imagination stylistique des personnes qui la portent.
Le streetwear est un mouvement issu du peuple qui change et évolue en permanence, au gré des tendances lancées par la culture populaire et les sous-cultures (en sociologie contemporaine, il s'agit d'un mouvement construit au sein de la culture dominante). Les vêtements streetwear sont souvent influencés par la nostalgie des années 80, les t-shirts vintage, à motifs et les pièces logotypées font partie intégrante de la panoplie streetwear. Les vêtements sont plutôt choisis oversize pour un confort, une aisance et une liberté des mouvements au quotidien. D’ailleurs, la mode asiatique prend depuis quelques années une grande place dans le monde du streetwear.
Chez Decathlon, le concept de communauté occupe une place grandissante et se place au cœur de la stratégie marketing du groupe. 10 ans après sa création en 1976, Decathlon crée ses propres “marques passion” qui font alors référence aux différentes communautés de sportifs. Aujourd’hui, Decathlon compte plus des dizaines 80 marques à son actif. La popularité de Decathlon, et principalement celle de Kalenji et Quechua, profite des tendances du normcore et du streetwear qui veulent très souvent s’affranchir des marques et de la standardisation des masses. La mode est au minimalisme, au pratique, au fonctionnel ; le normcore recherche par exemple un style non exclusif et banal, une panoplie Decathlon “premier prix” en somme.
Récemment, les marques du groupe ont beaucoup fait parler d’elles… alors qu’Orelsan a jeté son dévolu sur un “outfit” Solognac, la fameuse doudoune Quechua a fait un tabac dans les cités grâce au rappeur Jul qui en a fait sa tenue de scène, au point d’être rebaptisée par certain•es “Kalenjul”. Déjà en 2015 ce dernier s’affichait en Decathlon dans l’un de ses clips et citait la marque dans ses chansons.
Et parce que le vintage et le streetwear sont à la mode, Decathlon a relancé la production de 1000 joggings (en édition limitée donc) tout droit sortis des collections de 1985 (d'où son nom : JOG85). Vendu 20,58€ ils se sont arrachés grâce aux 30 000 retweets de la communauté. Auparavant moche et naze (oui, il faut savoir se dire les choses parfois), il est devenu cool et tendance. Tout arrive.
Le phénomène s’est reproduit avec la basket Flex - aujourd’hui rebaptisée Revival Jog - (réédition d’un modèle de 1996) qui a provoqué une tornade virtuelle suite à la mise en vente sur l’e-shop de la marque de 3000 paires.
Plus récemment, la marque de baskets Tarmak a annoncé son partenariat avec la NBA, de quoi faire saliver la communauté de basketteurs.
Des engouements marquants et des stratégies virales qui ont permis au géant du secteur de décrocher la palme du “cool”.
Longtemps perçue comme un distributeur d’articles de sport plus près du confort et du fonctionnel que de la mode et de la tendance, l’enseigne connaît aujourd’hui un véritable regain de “hype” auprès de la génération biberonnée au rap français.
Le sport est un facteur important d’évolution du vêtement occidental, nombre de vêtements se sont simplifiés afin d’être adaptés à une pratique sportive, c’est le cas de la veste notamment. La pratique sportive a apporté les notions de confort et de mixité au vêtement. Mixité qui s’exprime autant dans le port du pantalon par la femme que dans le port de la couleur par des hommes. Le sport permet aussi d’être un moteur pour les innovations techniques en termes de textile et de forme puisqu’il utilise les vêtements dans des contextes extrêmes (mouvements, conditions extérieures, frottements…). Des textiles high-tech sont développés apportant des qualités techniques spécifiques, spécialement des matières permettant l’évaporation de la transpiration.
Les vêtements sportswear et streetwear sont particulièrement porteurs de message au-delà de leurs apparences et fonctionnalités. Certains créateurs proposent maintenant des vêtements de même style avec des qualités techniques équivalentes, voire supérieures, tout en garantissant qu’ils ont été fabriqués dans des conditions éthiques, c’est-à-dire appliquant des normes environnementales et sociales. Des enjeux, plus que jamais, d’actualité.