Bricoler le sport ça vous parle ? On vous emmène à la rencontre de deux femmes qui en ont fait leur métier.
Quand on fait du sport, on entretient son corps, son esprit et… son matériel. D’ailleurs, nombreux sont les sports qui nécessitent de savoir un peu bricoler, en tout cas, se dépatouiller. Et pour commencer la bricole, il faut mettre les mains dans le cambouis. En fait, c'est un peu comme le sport : le tout, c'est se lancer. C’est en tout cas ce qu’ont fait Yann et Eva, âgées de 26 et 24 ans : elles sont aujourd’hui réparatrices de vélo à Lille, chez Les mains dans le guidon, un atelier lillois d’auto-réparation de vélos. Là-bas, “c’est le client qui vient et qui fait”.
“Aider et apprendre aux gens à réparer leurs petits soucis du quotidien sur leur mécanique vélo”, c’est ainsi que Yann définit leur métier. Rencontre.
Eva a toujours été plutôt bricoleuse. Plus jeune, elle a pratiqué le canoë de course en ligne au niveau compétition, “ce qui nécessite d’être un peu bricoleuse quand même”, reconnait-elle. À la suite d’une blessure, elle est contrainte d’arrêter le canoë. Progressivement, elle se met au vélo “avec l’immense richesse” qu’elle avait à 18 ans, précise-t-elle en souriant. Un petit budget qui la résout à réparer et bricoler son vélo elle-même, comme elle le peut. Elle s’inscrit alors Aux mains dans le guidon à Lille. À ce moment-là, elle ne sait pas encore qu’elle est en train d’apprendre son futur métier.
Sa pratique du vélo évolue : de cycliste pour ses déplacements, elle devient coursière, puis se lance dans son premier voyage à vélo avant de s’orienter vers une pratique plus sportive et de retrouver peu à peu le goût des courses.
De son côté, Yann dit avoir toujours été très manuelle : “Petite, je fabriquais déjà mes jouets en bois dans mon garage”. Vers 18 ans, elle s’oriente vers une carrière de chaudronnière. Elle y travaille pendant 7 ans : “J’ai adoré ce métier, mais pas le milieu dans lequel j’ai évolué : grosse industrie sans émotions et surtout, sans la moitié de la population, car il concerne exclusivement des hommes cis (une personne est dite cisgenre quand son identité de genre ou son genre ressenti correspondent au genre assigné à sa naissance ndlr.), blancs, hétéros… ”
Et le vélo dans tout ça ? “J’avais toujours fait du vélo et du VTT avec mon père et mon frère” raconte-t-elle. À 16 ans, elle se souvient avoir monté son premier “pignon fixe” (comme on dit dans le jargon), avec le vélo de son grand-père - aussi “parce que c’était la mode.”- Quelques années plus tard, elle doit changer de vélo, le sien étant bien trop usé. Elle commence alors à fréquenter l’atelier des Mains dans le guidon.
Aujourd’hui, sa pratique du vélo a beaucoup évolué, vers une pratique plus sportive, mais non compétitive. Elle aussi, le voyage à vélo, c'est son truc.
Voyant que Yann s’épanouit dans ce qu’elle fait, l’équipe des Mains dans le guidon, lui propose de faire partie de son équipe. Ne se retrouvant plus dans l’univers de la chaudronnerie, Yann n’hésite pas et rejoint l’entreprise dans le cadre d’une formation en alternance.
Eva est quant à elle diplômée de Sciences Po et n’a jamais reçu de formation de bricoleuse : “Tout ce que j’ai appris, c’est de l’autodidacte avec des tutos sur internet et des cas concrets ici à l’atelier”.
De toute façon, pour elle, la solution n’est pas forcément dans les manuels : “C’est seulement quand tu as un pépin que tu apprends à le résoudre et pour ça, il faut parfois savoir faire preuve d’imagination. Si le manuel dit qu’il faut dévisser cette vis-là, mais que celle-ci est complétement ruinée par le temps et l’utilisation, ce n’est pas si simple”. Aux bricoleur·ses, de trouver la solution : “C’est là où ça dépasse les compétences que l’on peut avoir, même en formation”, explique Eva. Dans ce cas, il suffit de “savoir demander aux autres”, reconnait-elle.
Yann confirme et ajoute : “Oui, par exemple, moi, ce n'est pas parce que j’ai fini l’école que j’arrête d’en apprendre sur le bricolage”.
C’est là que l’expression “mettre les mains dans le cambouis” prend tout son sens.
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“La liberté de ne pas être bloqué·e par quelque chose que l’on n'arrive pas à faire” répond Eva. Elle se souvient : “Moi par exemple, quand j’ai commencé, je n’avais pas une thune. Ça ne m’a pourtant pas empêché d’avoir une certaine pratique du vélo, parce que je l’ai fait moi-même”. Elle ajoute : “Quand je vois mes potes de Sciences Po qui me disent qu’ils et elles ne savent rien faire de leurs mains, je me dis que je suis contente de ne pas être comme ça. C’est de l’empowerment, finalement, on apprend à s’en sortir seul·e”.
Yann me parle plutôt d’autonomie : “Quand j’ai redécouvert le vélo, j’ai recommencé à me faire des sorties, même si ça me faisait peur. Je me disais : “Comment je fais si un truc casse ou que je crève à 40 kilomètres de chez moi ?” Aujourd’hui, forte d’expériences, Yann a appris et la peur de partir seule reste bien loin derrière elle.
“Oui !” répondent les deux bricoleuses de vélos. Un engagement vers un mode de vie plus durable dans lequel les deux femmes s’épanouissent. Eva poursuit : “C’est vrai que ça nous fait mal au cœur quand on doit jeter des vieilles pièces, quand ça ne peut pas être recyclé mais en même temps, on se dit que de travailler dans ce genre d’entreprise, ça permet aussi d’apprendre qu’entretenir, réparer et réutiliser, c’est possible et ça, c’est le plus gros du travail”.
Elles, ce qu’elles veulent avant tout, c’est faire comprendre aux gens “qu’il est mieux d’entretenir régulièrement quelque chose pour minimiser le changement de pièces sur le long terme”, explique Yann.
Eva se souvient : “Avant, je travaillais sur des sujets énergétiques, je faisais du plaidoyer, un métier extrêmement politique : ce que je faisais avait de l’influence sur les décisions publiques. Aujourd’hui, je trouve que ce que je fais l’est tout autant, même si c’est de manière moins institutionnelle, car ce que je fais encourage la pratique du vélo et rien que ça, c’est politique et militant pour moi”.
Quand elle parle de son métier, Eva constate qu’“en général, les gens sont étonnés”. Il est vrai que de base, la formation qu’elle a suivie ne mène pas du tout à ce métier. Elle ajoute : “ Finalement, quand j’explique ce que je fais concrètement, les gens trouvent ça trop cool”. Elle ajoute en souriant : “Ma mère m’a dit : ‘Ah ouais, tu as fait Sciences Po pour faire ça !’ mais je lui ai répondu que oui, j’en avais marre d’être derrière mon PC”.
Faire le métier de bricoleuse, c’est aussi évoluer dans un milieu encore majoritairement masculin. “J’ai eu la chance de ne jamais m’être mis de barrières parce que j’étais une femme, je me suis toujours dit que j’en étais capable” explique Eva. Même si, elle le reconnait, elle a déjà été victime de réflexions à caractère sexiste.
Yann, elle, est une femme transgenre, “quelque chose d’assez récent dans sa vie”. À l’atelier, elle explique qu’elle “passe encore beaucoup pour un homme. Le sexisme, c'est donc un schéma que je ne subis pas encore”.
“Du coup, les clients qui râlent vont plutôt voir Yann”, ajoute Eva en souriant. Yann rebondit en racontant une situation qu’elle “déteste voir à l’atelier” : “Quand un couple vient avec l’abonnement de la fille, pour le vélo de la fille et que c’est elle qui a fait la démarche de venir, eh bien quand ils sont là, c’est son copain qui prend les outils et qui répare”.
À ce sujet, les deux bricoleuses constatent quand même que “depuis quelques années, on voit plus de filles qui viennent seules à l’atelier”. ” Yann ajoute : “Ça fait du bien à voir ! Mais je vois qu’en formation, par contre, il n’y a que des mecs”.
Selon elle, le processus “commence dès l’enfance, à l’école et dans les jeux que l’on offre”, par exemple. “Moi, j'ai vu ma mère bricoler et faire des travaux à la maison, c’est aussi pour ça que je ne me suis jamais bridée. Si l’on apprend et montre l’exemple à une génération, la suivante va suivre ou au moins ne pas s’auto-censurer”, explique Eva.
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“De ne pas avoir peur !”, affirme Eva. Elle ajoute : “Tout s’apprend et c’est en faisant que l’on apprend”. Elle rappelle d’ailleurs qu’en matière de bricolage, beaucoup de ressources sont aujourd’hui disponibles pour tous et toutes, que ce soit en ligne, en vidéo ou auprès d’associations et d’entreprises.
La réparation, l’entretien, la bricole… Voilà encore une autre richesse que peut vous offrir le sport. Finalement, que ce soit dans la vie quotidienne, votre sport ou le bricolage, pour faire avancer les choses, la recette reste la même : celle de se mettre en action et de faire bouger les choses !