À mi-chemin entre activité sportive et voyage, la micro-aventure cartonne auprès des jeunes urbains, lassés des salles de fitness trop aseptisées...
Un article écrit avec Usbek & Rica, le média qui explore le futur
Alors que la population française évolue dans un périmètre restreint depuis des mois, le concept de micro-aventure, lui, a bien circulé depuis l’an dernier. Il faut dire que cette « aventure de poche » a tout pour s’épanouir dans le contexte actuel, puisqu’elle consiste littéralement à partir en voyage en bas de chez soi, le twist étant précisément de vivre une expérience dépaysante sans changer de décor, ou presque.
Popularisée par le Britannique Alastair Humphreys il y a une dizaine d’années, la tendance est désormais prête à barouder sur le sol français : elle a ses médias dédiés - Chilowé, Les Others, etc. -, sa chaîne Youtube, mais aussi son école, baptisée 2 Jours Pour Vivre. « Alors que nous avons perdu notre capacité à s’enthousiasmer pour l’inconnu, l’école propose de muscler la créativité de chacun, en dehors du web et des tracés connus, par exemple en cherchant ses points de chute directement sur une carte IGN » explique Amélie Deloffre, créatrice et directrice générale de l’école". « Ce qu’a popularisé Alastair Humphreys avec son projet de faire une micro-aventure par mois sur un coup de tête, c’est l’audace joyeuse de partir sans suivre un tracé ».
Et pour ceux qui voudraient croquer un morceau d’adrénaline sans trop se mouiller, pas d’inquiétude : des offres de « microaventure en pack » existent aussi. C’est le cas du média et guide Chilowé, qui propose des escapades telles que « Pêche à la mouche dans le Morvan » avec le guide Olivier, alias Escargot Voyageur, ou « Canoë et rando à travers le Vexin » avec le guide Julien, alias Martin-Pêcheur Dingo.
Et ça marche : entre mars à décembre, le trafic sur le site de Chilowé a triplé, son nombre d’abonnés sur les réseaux sociaux a doublé, et 4 500 aventuriers se sont même réunis physiquement en septembre à l’occasion du festival de la nature et de la microaventure créé par la marque. Quant au site de randonnées accessibles sans voiture Helloways, il a connu une hausse de + 1 500 % de visite en mai 2020.
Fidèle compagnon du microaventurier, le vélo a, lui aussi, profité d’un sérieux coup de pédale en 2020. Selon l’association Vélos & Territoires, ce sont pas moins de 1 784 km de véloroutes qui ont ouvert sur l’année, pour le plus grand bonheur des cyclotouristes. En 2020, ce sont également 2 millions de biclous qui se sont refait une beauté grâce au Coup de pouce Vélo mis en place à l’occasion de la sortie du premier confinement.
La hype est fraîche, et pourtant, « chercher l’exotisme à côté de chez soi est une vieille idée », remarque Hécate Vergopoulos, maître de conférences et chercheuse spécialiste du tourisme, qui rappelle que dès 2006, la maison d’édition australienne Lonely Planet publiait un Guide du voyage expérimental.
L’ouvrage invitait par exemple à aller se rendre en transports en commun à l’aéroport le plus proche, et essayer de rentrer par ses propres moyens, ou d'explorer les villes par le prisme de la simple case K2 des cartes touristiques. « On peut aussi citer les visites guidées de quartier, qui ont toujours existé, la tendance du staycation, ce tourisme ultra-local, ou encore Paris Plage, qui est une parfaite exotisation de la ville et du quotidien ».
Mais alors, la micro-aventure, est-ce de l’exercice physique ou du tourisme ? « Plutôt aucun des deux », s’amuse Amélie Deloffre. « Je dirais que c’est une pratique au croisement entre voyage, sport et découverte, et qui consiste à se débrouiller seul, et à rencontrer des imprévus et des choses extraordinaires. Il y a du sport dans la mesure où il faut avoir le goût de l’effort, mais il n’est jamais question de performance ».
C’est qu’en remplaçant l’injonction à la performance - faire un trail de 40 km, par exemple - par une invitation à l’expérience - courir à la (re)découverte de la montagne voisine - la micro-aventure concrétise le mariage de l’exercice physique et de l’exercice sociétal. Le tout, sans aller au bout du monde.
« Pour comprendre le phénomène, je pense qu’on peut se tourner vers le concept de déplacement », propose Hécate Vergopoulos. « Voyager, c’est se déplacer dans l’espace, mais c’est aussi déplacer son regard, regarder le monde sans les yeux de la routine ». La microaventure n’est donc ni une nouvelle activité touristique, ni un type de sport inédit, c’est une philosophie de la découverte.
Et l’effort alors ? Pourquoi passer ses jours de repos à crapahuter autour de chez soi plutôt que d’aller buller à l’autre bout du monde ?
Hécate Vergopoulos renverse la question : en étudiant la sémiologie des guides de voyage, elle a constaté que le tourisme traditionnel était extrêmement exigeant d’un point de vue physique vis-à-vis de ses voyageurs.
« Dans les guides, et chez les acteurs du tourisme, on ne considère ni ne valorise jamais les heures à rester immobile dans les files d’attente, le temps passé à piétiner, la course entre chaque musée. Les touristes s’imposent à eux-mêmes un programme épuisant, à la limite du masochisme ». Accéléré par l’essor des low cost et des tours des capitales européennes, le court séjour touristique supposé détendre s’est ainsi transformé en un marathon qui ne dit pas son nom.
« Quand on consomme du tourisme, on arrive avec l’idée que le monde est là pour nous divertir, et qu’à notre destination nous attend une récréation, mais il arrive que l’on vive une dépression, une dysphorie, en rencontrant la réalité du territoire qui se cache derrière la destination », rappelle Hécate Vergopoulos.
À l’inverse, « la microaventure, c’est peut-être la volonté de regarder non plus la destination mais le territoire », continue-t-elle. Tout active soit-elle, se veut une forme de découverte silencieuse du territoire. « Il y a une idéologie patrimoniale de préservation des choses telles qu’elles sont, avec l’idée d’avancer à pas de loup, et de laisser les lieux comme si on n’avait jamais été là ».
Et quitte à courir, autant que ce soit au rythme de la nature qu’à celui d’une cadence touristique effrénée.